Guerre froide

1961 : Après l’incident de la baie des Cochons les relations internationales sont tendues entre l’Est et L’Ouest. Il faut dire que nous sommes en pleine guerre froide.

Une réunion secrète entre De Gaulle, Kennedy, Churchill et Khrouchtchev, sorte de Yalta bis consacré à la détente se tient au bord du lac Léman : il y a tout ce qu’il faut et le personnel de cette luxueuse résidence a été trié sur le volet. Personne n’est au courant de cette entrevue sauf peut-être les services de renseignements des nations concernées. Moi-même je n’en connaissais pas l’existence avant de l’écrire.

Tout était cependant prévu pour que cette rencontre se déroule dans les meilleures conditions, mais on ne saura sans doute jamais officiellement ce qui s’y est dit et comment ça s’est passé. Elle visait certainement à améliorer les relations diplomatiques entre les deux blocs mais on ne savait pas qui a avait eu cette idée. Peut-être le fringant président américain qui avait dans la tête de redorer son blason.

Grâce à quelques fuites on sait cependant que l’un de ces hommes politiques aurait finalement fait foirer cette réunion au sommet.

Peut-être De Gaulle qui venait d’échapper à un putsch militaire.

Ou Khrouchtchev qui avait foutu le bordel à l’ONU en tapant avec sa chaussure sur son pupitre.

Ou encore Kennedy qui était bien embêté par le débarquement avorté de la baie des Cochons.

Ou Churchill désormais retiré de la vie politique qui paraissait parfaitement à son aise et trinquait au malheur des autres en se tapant whisky sur whisky.

Bref nos quatre mousquetaires de la négociation n’étaient pas dans les meilleures dispositions et il fallait pourtant détendre l’atmosphère sous peine de voir cette réunion tourner en eau de boudin.

Cette rencontre n’allait-elle pas se résumer, comme bien souvent, en un affrontement idéologique entre l’Est et l’Ouest, entre capitalisme et communisme. Même entre Anglais et Français ce n’était plus l’entente cordiale. C’est dans un contexte politique particulièrement instable qu’allait avoir lieu cette réunion au sommet et c’est sans doute pour cette raison que cette rencontre avait été tenue secrète.

Les dirigeants politiques étaient arrivés dans la matinée et chacun avait sans doute potassé son argumentaire pendant le voyage. Après le fiasco de Cuba le président américain était dans ses petits souliers et il comptait sur cette réunion pour se refaire la cerise face à un Khrouchtchev combattif et en position de force.

On avait décidé de se réunir après le repas, mais après les classiques amabilités d’usage et quelques verres les esprits s’échauffèrent et ils ne purent éviter un dérapage verbal alors que l’on servait le plat principal.

Ils étaient tous prêts à se rentrer dans le lard et la moindre étincelle risquait de mettre le feu aux poudres, ce qui ne manqua pas de se produire.

« Vous êtes des incapables et en plus vous nous prenez pour des couillons » aurait dit un Churchill très aviné aux trois autres.

« Et toi tu devrais arrêter l’alcool, d’ailleurs je ne sais pas ce que tu fous à cette table à part te goinfrer et picoler » répondit un Khrouchtchev au moins aussi imbibé que lui par la vodka.

« Il ne fallait pas l’inviter » se contenta de préciser laconiquement le général De Gaulle.

Le ton était donné. La discussion semblait mal engagée et promettait de se terminer par des invectives et des noms d’oiseaux. Kennedy qui paraissait le plus motivé essaya de détourner la conversation vers le pacifisme. « I have a dream » dit-il. « Il est temps que souffle un vent de liberté sur l’ensemble de la planète. » Puis il enchaîna avec « Ich bin ein berliner ! Que pensez-vous de cette formule que j’aimerais utiliser lors de mon prochain voyage à Berlin, elle pourrait rester dans les annales non ? » 

« Vous pouvez continuer à rêver, mon gars, mais vous n’avez pas le monopole du cœur et de toute façon ça ne va pas changer grand-chose dans le contexte actuel. C’est comme si moi Charles De Gaulle je balançais « Vive le Québec libre » lors d’un voyage au Canada. Ça mettrait juste le bazar dans nos relations et c’est tout. »

« Elémentaire mon cher Charles » approuva Churchill en se servant un nouveau whisky. « N’empêche que vous avez pourtant bien failli vous faire déboulonner par de vieux croûtons. »

« Vieux croûton toi-même, tu n’es plus bon à rien et tu ferais mieux de retourner t’occuper d’Elisabeth » lui répondit le président français. « Quant au quarteron de généraux à la retraite, je l’ai maté, et de toutes façons il n’aurait pas fait de mal à une mouche. »

« Laissez sa majesté la reine en dehors de ça, rétorqua l’ancien premier ministre britannique et occupez-vous plutôt de tante Yvonne. »

« C’est tout ce que vous avez d’intelligent à dire. On raconte des tas de conneries et pendant ce temps-là, mine de rien, on fait débarquer des troupes à Cuba » reprit le dirigeant soviétique.

« Oh ça va Khrouchtchev, garde tes godasses aux pieds et retourne donc te planquer derrière ton rideau de fer. » lui répondit Kennedy.

« Vous savez que j’ai commencé à faire des réformes qui vont améliorer et accélérer le processus démocratique dans mon pays, qu’en pensez-vous De Gaulle ? »

Un léger sourire teinté de scepticisme éclaira un instant les visages des autres convives qui bien sûr n’en croyaient pas un mot, le régime soviétique étant en général plus porté vers l’immobilisme que vers la réforme.

« Vous pouvez faire toutes les réformes sociales que vous voulez mais vous n’aurez toujours affaire qu’à des ingrats qui ne pensent qu’à semer le désordre. La réforme oui, la chienlit non ! »

« Je vous ai compris. Et vous Churchill qu’en pensez-vous ? »

« Je n’en ai rien à cirer et vous aussi vous feriez mieux de vous retirer dans votre datcha, comme moi, et de quitter la vie politique pour profiter du temps qu’il reste.

« De toute façon on ne parviendra pas à un consensus et je pense que nous devrions simplement profiter de cette belle journée. Laissons tomber ces discussions à la con qui ne mènent nulle part » conclut un Kennedy désabusé qui proposa une partie de poker à ses acolytes qui au moment du dessert étaient à nouveau copains comme cochons.

« Moi je préfèrerais jouer au baby-foot » dit aussitôt Khrouchtchev. « Pour moi, no sport, mais je ferais bien un Monopoly » ajouta Churchill. « Même pour jouer on n’arrive pas à se mettre d’accord » constata tristement le général De Gaulle qui aurait volontiers opté pour une partie de pétanque.

Finalement on en resta là, tout le monde campant sur ses positions. Chacun se dirigea vers son lieu de prédilection : la chambre et une bonne sieste pour Winston Churchill, la bibliothèque pour De Gaulle, le jacuzzi et la salle de massage pour le dirigeant soviétique. Quant au président américain, on l’avait aperçu en train de s’éclipser discrètement en compagnie d’une jeune serveuse de la résidence.

Quand en fin d’après-midi ils regagnèrent leurs pénates, nul ne put savoir dans quel état d’esprit ils se trouvaient. On se doute toutefois qu’ils ne revenaient pas de ce court séjour au bord du lac Léman avec la satisfaction du devoir accompli.

Après une rencontre aussi infructueuse, il ne fallait pas s’étonner que l’année 1961 déjà si fertile en événements politiques se termine en apothéose avec la construction du mur de Berlin.

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