Dialogue avec mon personnage |
« Eh ! Mon vieux Cornelius*,
c’est moi André, le personnage de ta nouvelle « Erreur de casting ».
Pour une erreur c’en était une belle si j’en juge par les propos et les
commentaires qu’elle a suscités. Il faut dire que tu n’y es pas allé de main
morte autant par le choix du sujet que par son traitement. Tu as tendu le bâton
pour te faire battre et sur ce plan-là tu as parfaitement réussi ton coup.
Bravo ! -C’est vrai, mais ma principale
erreur c’est de l’avoir envoyée en publication sans aucune retouche. Dois-je te
rappeler qu’elle a été écrite initialement en 2005 et je pense qu’aujourd’hui
je la réécrirais d’une manière plus nuancée. Mais ce qui est fait est fait et
je ne vais pas la renier pour autant. Je revendique toutefois les quelques
phrases un peu olé-olé qui ne sont peut-être pas au goût de tous les lecteurs. Cette
nouvelle avait pourtant bien débuté avec le personnage de Patrick Santini, un
cadre dynamique et élégant bien sous tous rapports qui avait gravi les échelons
de son entreprise et qui dirigeait maintenant le service des ressources humaines. -Mais moi dans tout ça, qu’est-ce que
je deviens, Cornelius ? Au départ c’est pourtant bien moi le personnage
principal de cette histoire si je ne m’abuse, mais j’ai eu la très désagréable
impression de n’être finalement qu’un figurant. Il faut reconnaître que tous
les personnages de cette nouvelle sont sacrément stéréotypés avec un raciste de
base et sa pauvre victime noire. Tu ne t’es vraiment pas foulé mon vieux et je
ne te dis pas merci. -Oh ! Oh ! Doucement André,
tu ne vas quand même pas me faire un procès pour ça. Certes j’ai commis
quelques erreurs en écrivant ce texte, mais depuis quand les personnages
ont-ils leur mot à dire sur le contenu d’une nouvelle dont ils ne sont en somme
qu’un simple rouage. D’abord qu’est-ce que tu proposes, de réécrire cette
histoire ou de jeter tout de suite ce manuscrit dans le feu ? Ce serait un
acte radical pour mettre fin à cette discussion. Qu’est-ce que tu en
penses ? -Eh bien oui, à défaut d’être brûlée elle
mériterait au minimum d’être réécrite correctement et si tu le veux je peux
t’aider à la modifier et à en faire une version acceptable et plus soft. -Mais je rêve, c’est le monde à
l’envers ma parole ! Un personnage qui veut devenir auteur à la place de
l’auteur comme Iznogoud voulait devenir calife à la place du calife. D’abord
malgré les critiques, dont certaines sont justifiées il est vrai, je considère
qu’elle n’était pas si mauvaise que ça cette nouvelle. Et en plus je me suis
identifié à toi lorsque je l’ai écrite et maintenant je te connais mieux que
toi-même. Cependant même si les personnages n’ont habituellement pas voix au
chapitre, je suis prêt à écouter tes doléances. -Monsieur est trop aimable. Tout
d’abord prenons le personnage de Santini. Il deviendrait plus sympathique en
adoptant des positions moins radicales et un ton moins autoritaire avec son
assistante. C’est un fils d’émigré et il devrait se rappeler d’où il vient.
Bref il suffirait de radoucir son caractère pour le rendre à peu près
fréquentable tout en conservant cette pointe de racisme latent qui constitue le
thème principal de la nouvelle. C’est là que tu as commencé à déraper,
Cornelius. Par exemple la phrase concernant mon dossier de candidature et la
conversation avec son assistante pourrait être plus sobre : « Nathalie,
pourquoi avez-vous gardé ce dossier ? » suffirait amplement. Par
ailleurs, la postulante ne devrait pas être jugée sur son physique et dans la
nouvelle version elle sera « pas attirante » plutôt que « pas
bandante. » Quant au dialogue avec Mollard le chef du marketing, il
gagnerait certainement à être un peu plus subtil et un peu moins
franchouillard. -Je suis d’accord avec toi André,
c’est d’ailleurs une des remarques qui m’avait été faite par un lecteur mais on
ne va pas non plus se retrouver au pays des bisounours où tout le monde est
gentil. Le monde du travail est tout autre, on ne s’y fait pas de cadeaux et le
racisme est malheureusement encore d’actualité tout autant qu’en 2005 même s’il
n’est pas toujours aussi visible. Donc ne compte pas sur moi pour réécrire entièrement
cette nouvelle avec un vocabulaire convenu et un ton gnangnan. Bien que je ne
pense pas que la version initiale soit spécialement gore, si je la réécris je
devrais de toute façon m’adapter et cela se fera forcément dans un style plus
édulcoré. Quelques exceptions triviales et quelques mots un peu crus en moins
ne devraient pas nuire à l’ensemble du texte mais je conserve la scène de la
salle d’attente telle quelle, ainsi que la presque totalité de l’entretien
entre toi et Santini. -Il faudrait toutefois revoir la
conclusion de l’entretien d’embauche qui aurait bien besoin lui aussi d’une
réactualisation, et qui pourrait se terminer d’une façon positive pour moi tout
en réhabilitant le personnage de Santini. Comme ça on ferait d’une pierre deux
coups. On reprendrait l’ancienne version à partir de la phrase : « Après
quelques instants de silence, le responsable des RH, toujours aussi affable,
plongea ses yeux dans ceux d’André Diallo. » -Bien, commença-t-il d’un ton léger,
je ne souhaite pas vous laisser plus longtemps dans l’incertitude. Je vais être
honnête avec vous. J’ai déjà choisi une personne pour occuper ce poste, mais
votre niveau d’études et vos capacités vous permettent cependant de briguer une
place supérieure à celle de simple conseiller commercial. Un poste va se
libérer dans l’état-major de notre société et je vous invite à déposer votre
candidature qui aura sans doute de fortes chances d’être retenue. Je suis
persuadé que vous pouvez accéder sans problème à ce poste de responsabilité de
premier ordre. Je vous laisse voir avec mon assistante pour les formalités.
Bonne chance, jeune homme, et peut-être à bientôt, ajouta-t-il en lui serrant
la main. -Mais ça ne va pas du tout, Cornelius
! Je veux décrocher ce job et je ne veux pas me faire gruger une seconde fois en
ressortant bredouille de cet entretien. C’est hors de question. Cette fin ne me
convient pas. -Ah ! Nous y voilà, monsieur
Diallo ne veut pas rester sur un échec et cela n’aurait évidemment aucun sens
si l’on modifie cette conclusion. Avec ma proposition on ménage la chèvre et le
chou et tout le monde est satisfait. Santini passe pour quelqu’un de
sympathique et de correct et toi tu gardes l’espoir de dégotter un meilleur emploi.
Donc en optant pour cette fin positive je reprends le récit à : « André
remercia chaleureusement Patrick Santini avant de prendre congé et de se diriger
vers la sortie, boosté par l’éventualité d’une possible embauche. Il s’arrêta
un instant devant l’immeuble de la société puis il éprouva soudain le besoin de
marcher un peu. L’air vif de ce début de printemps le rasséréna et lui remit lentement
les idées en place. Certes il n’avait pas eu le job mais il lui restait la
perspective d’une meilleure opportunité. Peu après, André quitta d’un pas léger
le quartier des affaires pour s’engager sur l’avenue Victor Hugo. » -Et je termine en conservant le dernier
paragraphe d’origine qui sans être absolument génial me permet de boucler cette
nouvelle en douceur. Extrait d’un fait divers paru dans le
journal du jeudi 24 mars : Hier après-midi, vers 17 heures, à
l’angle de l’avenue Victor Hugo et de la rue Paul Gauguin, un garçonnet de
douze ans a failli être renversé par un véhicule conduit par un chauffard qui a
pris la fuite. Le jeune Antoine S. doit sans doute la vie au courage et à la
présence d’esprit d’un passant, monsieur André Diallo qui a été blessé dans cet
accident. Souffrant d’une fracture de la jambe et d’un traumatisme crânien, ce
dernier a dû être transporté à l’hôpital. Le conducteur du véhicule est
toujours activement recherché par la gendarmerie qui a lancé un appel à
témoins. -Pas mal ! Mais je crois que tu
peux faire mieux, genre : « André Diallo le courageux sauveteur
gravement blessé a été transporté en ambulance jusqu’à l’hôpital et son
pronostic vital est engagé ». Ce serait un peu plus percutant non ? -Ouais, ça ne m’étonne pas, tu veux
avoir le beau rôle jusqu’au bout. |
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