Un amour d’orchidée

 

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé les orchidées. Quand j’étais petite je passais déjà des heures à contempler celles de ma mère et lorsque à vingt ans j’ai quitté le cocon familial c’est tout naturellement que j’ai continué à en conserver dans mon appartement.

C’étaient en général des phalaénopsis, les orchidées ordinaires que l’on trouve chez tous les fleuristes et qui ont l’avantage de refleurir ce qui n’est pas le cas de toutes les espèces du genre. Puis de fil en aiguille ma collection s’est agrandie grâce aux cadeaux de la famille et des amis qui, connaissant mon goût immodéré pour ces fleurs délicates, m’offraient des orchidées, si bien que maintenant une pièce entière de mon appartement leur est réservée, mais comme je vis seule cela ne dérange personne.

Ce qui est bien avec les orchidées c’est qu’elles ne demandent que peu d’entretien et donc guère d’effort. Un emplacement lumineux leur suffit ainsi qu’un arrosage limité. Rien de compliqué, ce qui explique sans doute l’engouement de la clientèle pour ces belles fleurs.

Après une longue période consacrée presque exclusivement aux phalaénopsis, j’ai commencé à diversifier ma collection. Il faut préciser qu’avec plus de 25000 espèces il n’y a que l’embarras du choix.

Je me mis à la recherche d’espèces de plus en plus rares même si mes finances n’étaient pas florissantes. D’une jardinerie à une autre, puis de fleuriste en fleuriste, je traquais désormais l’orchidée dont la quête devint mon objectif principal.

Je finis par découvrir l’oiseau rare chez un fleuriste qui me précisa que cette orchidée hybride était sans doute le fruit d’un croisement entre deux espèces différentes. Il fut cependant incapable de me renseigner davantage sur cette plante ne se rappelant plus quand ni comment elle était arrivée dans sa boutique.

Peu m’importait d’ailleurs car ce fut un véritable coup de cœur pour moi. Je revins à mon appartement et au vu du peu de place dont je disposais dans la pièce réservée aux orchidées je décidai de l’installer dans ma chambre sur un petit meuble près de la fenêtre.

Plus tard dans la soirée, je me mis à effectuer des recherches sur Internet pour essayer de mettre un nom sur cette fleur. Je trouvai un article sur la découverte d’une orchidée géante en Angleterre, mais rien qui corresponde à cette espèce que je venais d’acquérir. Je finis par abandonner mes investigations, me contentant d’admirer l’unique fleur aux couleurs écarlates qui ornait désormais ma chambre.

Quelques jours passèrent à bichonner mon orchidée. Souvent je me contentais de lui parler tout doucement, l’implorant presque pour qu’elle me livre les secrets de son âme.

Peu à peu elle devint une compagne, une confidente à laquelle je confiais mes sentiments les plus intimes. Elle me permettait de rompre ma solitude tout en embellissant mon environnement.

La belle prospérait et semblait vouloir se développer davantage si bien que je dus changer son pot qui devenait trop exigu. Je m’aperçus alors que l’orchis de la plante avait quasiment doublé de volume et qu’il ressemblait tout à fait à une paire de testicules. Cet élément anatomique qui avait donné son nom à la famille des orchidées était on ne peut plus caractéristique pour la plante dont j’avais fait l’acquisition. Cette ressemblance avec les parties génitales masculines était troublante et je ne pus m’empêcher de penser aux attributs de certains messieurs que j’avais fréquentés jadis. A cette évocation je devins sans doute aussi écarlate que ma fleur et je mis un peu de temps avant de reprendre mes esprits.

Quelques semaines s’écoulèrent encore pendant lesquelles mon orchidée se mit à prendre de plus en plus de place dans la chambre. Il me fallut à nouveau la changer de pot car elle devenait très envahissante. Sa magnifique fleur, allant du rouge vif au pourpre, grandissait dans une floraison exubérante, à tel point qu’il me faudrait bientôt envisager de changer de logement si je désirais continuer à cultiver cette orchidée.

Je m’endormis tard ce soir-là, préoccupée par l’ampleur de la place qu’elle occupait dans ma vie et la perspective d’un prochain déménagement qui ne m’enchantait guère.

Lorsque j’ouvris les yeux le lendemain matin, je me rendis compte qu’un important changement s’était produit pendant la nuit. Je voulus bouger et me lever, mais je sentis comme une paralysie générale de mon corps comme si j’étais une prisonnière ligotée sur le lit. Je ne ressentais toutefois aucune douleur. Au contraire je réalisai que j’étais dans un état de bien-être et de volupté que je n’avais encore jamais connu auparavant. C’est alors que je me rendis compte de la taille imposante de l’orchidée qui avait exagérément envahi l’espace. Elle s’était rapprochée de moi et m’entourait de ses bras m’empêchant de faire un seul mouvement. J’aurais dû être terrifiée, mais j’étais entièrement inerte et dans l’incapacité de réagir. Je pris alors vaguement conscience que je n’étais plus maîtresse de mon destin et que j’appartenais maintenant au monde végétal.

Dans la nuit les rôles s’étaient inversés. Je lui appartenais désormais et elle se nourrissait de moi grâce à ses bras tentaculaires. Mon corps engourdi et comme anesthésié n’opposait aucune résistance à l’orchidée qui semblait s’être transformée en une véritable plante carnivore. Mais le pire était encore à venir. Tout à coup je sentis quelque chose pénétrer entre mes cuisses. Je fis un effort pour me redresser et regardai en direction de mon ventre. Je vis les deux énormes testicules de l’orchidée qui, dotée d’une sorte de phallus turgescent sorti d’on ne sait où, était en train de me faire l’amour. Je tentai de remettre mes idées en place sans résultat car mon cerveau ne répondait plus.

Dans un dernier instant de lucidité, je revis ce jour où revenant de la boutique du fleuriste j’avais installé l’orchidée sur le petit meuble de ma chambre. Puis je fus parcourue par un frisson avant de sombrer dans un profond sommeil.


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