Apocalypse

 

Il attendait sur son cheval blanc immaculé. Les autres seraient au rendez-vous comme toujours. De cela il ne doutait pas. Il les avait envoyés par le monde semer le trouble et la discorde, la famine et la maladie. Comme d’habitude ils reviendraient satisfaits d’avoir accompli leurs missions. Et seraient prêts à repartir aussitôt s’il le fallait.

Le cavalier blanc attendait impassible. Qui était-il ? Une incarnation du Christ d’après certains, l’émanation d’un quelconque dieu de la guerre pour d’autres. Son casque masquant son visage, nul ne le savait.

Les trois cavaliers exterminateurs arrivèrent dans un vacarme assourdissant et saluèrent leur maître qui les informa sur la mission à venir.

Ce jour n’était pas un jour comme les autres. Il avait convoqué ses acolytes pour une affaire de la plus haute importance. Les quatre cavaliers de l’apocalypse partiraient dès aujourd’hui pour une dernière chevauchée, la mission ultime annonçant la fin du monde. Les humains avaient montré leurs limites, il était temps de se débarrasser de cette engeance.  

Depuis la nuit des temps les cavaliers de l’Apocalypse faisaient le job, infligeant aux populations leur lot de misère et de vicissitudes. Les pauvres payaient comme à chaque fois le plus lourd tribut. Eux aussi étaient là depuis des temps immémoriaux à jamais considérés comme des victimes expiatoires. Ils étaient sur terre pour souffrir et leur sort était jeté avant même leur naissance. Leurs misérables existences n’étaient que grains de sable emportés par le vent de l’Histoire.

Des siècles s’étaient écoulés depuis leur première apparition et leur mention dans le nouveau testament. Les quatre cavaliers existaient-ils vraiment ou n’étaient-ils qu’une vue de l’esprit, des personnages inventés pour inspirer la crainte et imposer punitions et châtiments ?

Le cavalier blanc symbole de conquête en était le chef. Sa tâche était la plus noble, les trois autres n’étant que des larbins obéissants chargés des basses besognes tels de vulgaires mercenaires.

Le cavalier noir apportait la famine en détruisant les récoltes. Était-ce bien utile d’ailleurs car elle était déjà là, bien présente un peu partout dans le monde et en particulier sur le continent africain. Il était particulièrement fier de celle qui avait coûté la vie à plus de 300 000 personnes en Ethiopie en 1984. La famine c’était vraiment du pain bénit pour exterminer toutes ces bouches inutiles.

Le cavalier vert était chargé de répandre les épidémies, bien aidé lui aussi par l’incompétence des hommes. Son dernier morceau de bravoure dont il n’était pas peu fier était d’avoir propagé le Covid sur tous les continents avec un taux de décès impressionnant. Il avait aussi connu ses heures de gloire avec les épidémies de peste noire du Moyen-Age qui décimèrent jadis les populations.

Le cavalier rouge, symbole de guerre, était le bras droit du cavalier blanc. Là encore il en fallait peu pour mettre le feu aux poudres, les conflits ne manquaient pas de l’Ukraine à la Palestine pour ne citer que les actes de guerre les plus récents. Rien à voir avec la guerre de cent ans ou la boucherie de la première guerre mondiale qui restaient ses réalisations les plus abouties. Là encore il bénéficiait de l’aide des combattants qui ne manquaient pas d’imagination pour se débarrasser de leurs ennemis.

Dans certaines régions du globe le peuple cumulait les calamités, la guerre entraînant souvent la famine et la maladie. Tout était lié pour ces populations nées sous une mauvaise étoile. Que pourrait bien changer la fin du monde pour eux qui n’avaient rien à perdre ?

Les maladies, la famine, les guerres, ces trois fléaux n’épargnaient aucun continent, aucun pays. Au cours de l’Histoire tous avaient connu des conflits armés, aucun n’en avait tiré la leçon. La paix universelle restait une utopie et les hommes méritaient de disparaître définitivement de la terre qui retrouverait ainsi son apparence originelle.

Les cavaliers de l’Apocalypse seront les implacables instruments de la destruction et de la disparition de l’espèce humaine.

La manifestation de leur courroux entraînera des conséquences dramatiques : la famine s’accentuera, les pandémies se multiplieront avec l’apparition de nouveaux variants plus virulents et agressifs, des guerres éclateront pour se terminer par un immense champ de bataille international, les combattants n’hésitant pas à faire usage de leurs armes de destruction massive avec une gigantesque explosion nucléaire en guise d’apothéose finale.

Le voile noir de la mort recouvrira alors la planète entière.

Ce sera la fin du monde. Nul n’en réchappera.

Et Dieu dans tout ça, me direz-vous ?

Si je ne me trompe c’est quand même bien lui qui tire les ficelles.

Seul Dieu pourrait donner une seconde chance aux humains.

Renvoyer Noé et son arche pour sauver ce qui pouvait encore l’être.

Reprendre le brouillon d’Adam et Eve et repartir de zéro.

Recréer le jardin d’Eden mais sans aucun reptile.

S’inspirer du jardin des délices de Jérôme Bosch. Non quand même pas, il ne faut pas exagérer !

En dernier recours il pourrait toujours envoyer Jésus sur terre pour régler le problème.

Bref, de nombreuses options s’offraient à lui, mais s’il éradiquait définitivement l’espèce humaine, la vie deviendrait terriblement monotone et il risquait de s’ennuyer à mort.

Dieu se dit qu’il allait s’accorder un délai de réflexion de six jours avant de prendre sa décision. Après tout, le monde ne s’était pas fait en un jour et il n’était pas si mal, c’est l’homme qui l’avait corrompu. Certes il pourrait le refaire mais il ne fallait pas se louper car il n’avait plus de droit à l’erreur. Même Dieu ne pouvait se tromper éternellement.

De toute façon l’humanité courait à sa perte. Sans même parler du réchauffement climatique, elle s’était déjà engagée inexorablement dans un processus d’autodestruction que même lui ne pouvait plus arrêter.

Dieu se souvint de la création du monde qui l’avait complètement épuisé. Tout avait marché comme sur des roulettes jusqu’au sixième jour. C’est quand il avait voulu créer l’homme et la femme que ça avait foiré. C’est pourquoi il hésitait à renouveler l’expérience.

Je n’aurais pas dû me reposer le septième jour, se dit Dieu, je n’avais pas terminé le boulot et maintenant on voit le résultat. J’ai été obligé de nombreuses fois de faire intervenir les quatre cavaliers de l’apocalypse afin de remettre un peu d’ordre sur la terre. Ce n’était pas de gaieté de cœur qu’il envoyait ces rustres infliger de tels tourments aux humains mais il faut reconnaître que c’était la solution de facilité.

Au sixième jour de sa réflexion Dieu n’était guère plus avancé. L’idée d’un nouveau couple souche avait pourtant fait son chemin, mais cette fois on n’allait pas les installer confortablement dans un jardin d’Eden au milieu des fleurs et bercés par le pépiement des petits oiseaux. S’ils veulent manger il faudra bosser. Il est hors de question qu’ils passent leur temps à se bécoter au bord de la piscine comme Alain Delon et Romy Schneider. Ici on n’est pas au cinéma ! Pour ce nouveau couple rien ne sera facile car il faudra tout reconstruire.

Dieu l’avait décidé ainsi.

Satisfait de lui, il envoya sans plus tarder les quatre cavaliers de l’apocalypse pour en finir avec l’ancien monde.

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