Présumés coupables Le comédien Philippe Maury quitta son
domicile vers 15 heures le vendredi 23 février. Ce soir-là avait lieu à
l’Olympia la cérémonie de remise des César, la grande messe du cinéma français.
Il était nominé et favori pour celui du meilleur acteur. Tous les voyants
étaient au vert cette fois-ci et il aurait eu toutes les chances de l’emporter
s’il n’y avait eu cette plainte pour harcèlement sexuel déposée récemment
contre lui. Il n’avait jamais remporté de César et cette fois encore le trophée
allait lui échapper. Et cela à cause d’une petite conne qui voulait se faire un
peu de pub et de blé sur son dos. Il ruminait sa rancœur tandis qu’il
se rendait au Palais Royal où il avait rendez-vous avec le metteur en scène
Christophe Loiseau pour discuter d’un éventuel rôle dans l’un de ses films.
Lorsqu’il pénétra dans la salle de spectacle, celle-ci était déserte. 17 heures. Un cadavre a été découvert
sur la scène de la salle Richelieu du théâtre du Palais Royal où joue
habituellement la Comédie-Française. La victime rapidement identifiée n’était
autre que l’acteur Philippe Maury qui était dans le collimateur de la justice
pour agression sexuelle. Vu le caractère quelque peu sulfureux de l’affaire, le
commissaire Didier Genevois, un ancien ponte du quai des orfèvres, avait été
chargé de l’enquête. Le caractère sexuel de ce meurtre ne faisait aucun doute
dans l’esprit du commissaire. Un message de l’assassin était épinglé sur la
veste du comédien : « plus dure sera la chute » sans doute en
référence à sa nomination aux César. L’enquête se dirigeait semble-t-il vers
une vengeance traduite par un joli crime avec préméditation, mais à ce stade, Genevois
ne disposait pas d’éléments suffisamment solides pour appuyer cette hypothèse.
Les résultats de l’autopsie confirmèrent que Philippe Maury avait été empoisonné
au cyanure, une manière classique fréquemment utilisée pour se débarrasser de
quelqu’un. Christophe Loiseau avait spontanément contacté la police dès qu’il
avait eu connaissance de l’assassinat du comédien pour l’informer qu’il avait
rendez-vous avec lui à 15h30 mais que Maury n’était pas venu. Bref, en dehors
de cela, les investigations ne donnèrent pas grand-chose, et la police n’avait
guère avancé. Les interrogatoires de l’épouse et du fils de Philippe Maury
n’avaient rien apporté de nouveau, et l’enquête piétinait jusqu’à ce qu’un
deuxième meurtre vienne la relancer. Mercredi 17 avril. Un corps a été
trouvé, adossé à la statue du Penseur dans le parc du musée Rodin, avec un
écriteau « mauvaises pensées » Il s’agirait du philosophe et écrivain
Alain Berthier qui devait participer le soir même à une émission politique,
mais on ne connaissait pas encore la cause ni les circonstances du décès. D’après les similitudes au niveau du
mode opératoire, l’enquête a été confiée au commissaire Didier Genevois, et le
corps de la victime a été transporté à l’institut médico-légal en vue d’une
autopsie. Le philosophe étant une personnalité
très en vue dans les médias, les journalistes se sont emparés de ce fait divers,
d’autant plus qu’Alain Berthier était sous les feux de l’actualité et faisait
l’objet de plaintes déposées par plusieurs femmes pour harcèlement et viol.
L’affaire était en cours d’instruction. Sans surprise, les résultats du labo
confirmèrent qu’il s’agissait aussi d’un empoisonnement au cyanure. Après ce
second crime, le commissaire Genevois disposait maintenant de quelques éléments
supplémentaires pour approfondir l’enquête. Les dates n’avaient certainement
pas été choisies au hasard par le meurtrier, et les deux victimes non plus. Cependant,
même s’il n’y avait apparemment pas de lien connu entre eux deux, il se dit
qu’il faudrait toutefois creuser un peu de ce côté-là. Dans les jours qui
suivirent, le commissaire envoya ses adjoints interroger les proches des deux
victimes. Les auditions des deux épouses ne donnèrent aucun résultat. Les
meurtres pourraient en effet avoir un lien entre eux, mais actuellement il faut
reconnaître que l’enquête restait quasiment au point mort. Dimanche 26 mai. Premier jour du
tournoi de tennis à Roland-Garros. L’ouverture du site a dû être retardée, car tôt
ce matin, un employé a fait une macabre découverte sur le court central. Le commissaire Genevois, arrivé sur
les lieux un quart d’heure plus tard, n’a pu que constater qu’il s’agissait
sans aucun doute d’un homicide. Le mort n’avait pas de papiers d’identité sur
lui mais il fut rapidement reconnu. Kévin Picard, l’un des joueurs les plus
prometteurs du tennis français, gisait les bras en croix dans le carré de
service, comme s’il venait de remporter le tournoi. Agrafée sur son tee-shirt,
une feuille de papier sur laquelle on pouvait lire « jeu, set et match ! »
Mais pour la police ce n’était pas gagné. N'ayant pas trouvé de détails
intéressants, le policier quitta le court, perplexe, pour rejoindre le
commissariat où il avait d’autres chats à fouetter, laissant la police
scientifique faire les constatations d’usage. De toutes façons, il faudrait attendre
les conclusions du légiste, et on ne pouvait pas faire beaucoup plus pour
l’instant. Les enregistrements des caméras de surveillance pourraient aussi
permettre d’y voir un peu plus clair. Les trois meurtres posaient cependant
des questions, pour le moment sans réponses. Le mode opératoire de l’assassin
présentait des similitudes qui pouvaient faire penser avec une quasi-certitude à
un seul tueur en série. Les trois victimes n’avaient pas
vraiment de point commun entre elles hormis les affaires judiciaires pour
lesquelles elles étaient poursuivies. Apparemment, les plaignantes ne se
connaissaient pas entre elles, et les victimes non plus. Pourtant il doit bien y
avoir un lien entre eux dit le commissaire Genevois à ses deux adjoints Martini
et Duclos et il va falloir le trouver. Il se doutait aussi que la notoriété des
trois personnalités allait rendre cette affaire délicate. La hiérarchie allait
sans nul doute lui tomber dessus et lui mettre la pression. Il allait devoir boucler cette enquête le plus rapidement
possible, mais ce n’était pas gagné, car il possédait très peu d’indices. Le
visionnage des caméras de surveillance n’avait rien donné, et l’enquête
s’annonçait difficile. L’autopsie du corps confirma que le décès était dû à un
empoisonnement au cyanure.
Il récapitula les éléments en sa
possession : Kévin Picard, 23 ans, tennisman international qui venait
d’honorer sa première sélection en équipe de France de coupe Davis.
Célibataire, il était l’objet récemment d’une plainte pour viol. Alain Berthier, 55 ans, écrivain et philosophe. Marié et père
de deux enfants. Peu de renseignements sur sa vie privée, mais lui aussi se
trouvait actuellement poursuivi pour harcèlement sexuel. Philippe Maury, 46 ans, marié, un fils. Accusé
d’attouchements et d’agressions sexuelles par plusieurs de ses partenaires féminines
lors de tournages de films. Dès lors la piste de la vengeance ou
d’une sorte de mission menée par un justicier paraissait être la plus
envisageable. Il fallait donc se pencher sur les affaires de viol car là se
trouvait peut-être la solution de cette série de crimes. Dimanche 16 juin. Un nouveau cadavre
a été retrouvé ce matin sur l’autel de l’église Saint-Eustache. Il s’agit de Monseigneur Jacques
Legrand, 45 ans, évêque auxiliaire de Paris, qui était soupçonné d’abus sexuel
et de pédophilie. Sur la feuille de papier agrafée sur son torse, il était
écrit « bonne fête papa. » Ce nouveau crime, dans la lignée des
précédents, fut attribué à celui qu’il fallait bien désormais considérer comme
un tueur en série. C’est vrai que c’est la fête des pères aujourd’hui, pensa le
commissaire Genevois en quittant le lieu du crime. Bien entendu la police passa les
alentours au peigne fin, mais ne trouva aucune empreinte ni aucun autre indice.
Le tueur semblait bien organisé et ne laissait rien au hasard. Pour avancer
dans cette enquête, il allait falloir fouiller dans le passé des victimes :
c’est là que se trouve la clé, se dit le commissaire. Il obtint par ailleurs un mandat de
perquisition pour fouiller l’appartement de l’évêque. Les policiers ne
trouvèrent rien d’intéressant sauf un petit calepin dans un tiroir fermé à clé.
Le commissaire le feuilleta rapidement : il contenait des dates et une
liste de prénoms, tous masculins, et qui pourraient bien venir compléter
l’affaire de pédophilie en cours et, qui sait, faire avancer sa propre enquête. Dans le cas de l’évêque, on ne
pouvait guère compter sur les instances de l’Eglise catholique qui avait
certainement couvert ses agissements comme dans bien des cas de ce genre. Cette fois c’était le branle-bas de
combat à la PJ. Pour cela, Genevois avait mis sur le coup ses deux adjoints,
les inspecteurs Duclos et Martini ainsi que Julien, un jeune stagiaire fraîchement
diplômé. Après une journée entière occupée à relire et à consulter tous les
documents, ils n’étaient pas plus avancés. Ils découvrirent tout de même
quelques infos intéressantes : Philippe Maury et son épouse menaient leurs
vies chacun de leur côté, Berthier avait une maitresse, et Picard une petite
amie, mais il n’y avait pas là de quoi s’enthousiasmer. Les épouses de Maury et
Berthier furent bien sûr interrogées à nouveau, ainsi que leurs enfants, mais la
piste familiale ne menait nulle part et le tueur en série n’en était peut-être
pas un. Le commissaire Genevois avait quelques
insomnies à cause de cette affaire qui tournait en rond. Le juge d’instruction
et le ministre de la Justice commençaient à s’impatienter. Ils voulaient des
résultats et seraient désormais sur son dos chaque jour. Il lui fallait reprendre les
recherches pour chaque crime et trouver ce qui les reliait. « Martini, tu t’occupes de Berthier,
Duclos de Maury, et Julien tu prends le dossier Picard ; moi je vais
fouiller dans la vie de l’évêque. Vous avez 48 heures pour trouver quelque
chose. » Deux jours plus tard le commissaire Genevois
convoqua ses inspecteurs pour faire le point sur les recherches en cours. Philippe Maury, acteur de cinéma et
comédien assassiné le 23 février, jour de la cérémonie des César. Une
instruction judiciaire était en cours pour attouchements et plusieurs plaintes
avaient été déposées par de jeunes actrices qui avaient été ses partenaires. Il
a un fils Thomas, 23 ans. Alain Berthier, agrégé de lettres,
professeur de philosophie à l’université de la Sorbonne à Paris, apparaissait
fréquemment à la télévision dans des émissions littéraires, mais une plainte
avait été déposée contre lui pour agression sexuelle et depuis, on ne l’avait
plus revu sur le petit écran. Assassiné le 17 avril, jour où il devait
justement participer à une émission de télévision. Il a deux enfants :
Damien, 23 ans et Ludivine, 21 ans. Kévin Picard, joueur de tennis
professionnel, tête de série n° 10 pour le tournoi de Roland-Garros ainsi qu’au classement ATP et grand
espoir du tennis
français. Assassiné le 26 mai, premier jour du tournoi, il faisait également
l’objet d’une plainte pour viol déposée par une jeune joueuse de tennis. Monseigneur Jacques Legrand, évêque
auxiliaire de Paris, accusé de pédophilie, assassiné le 16 juin, jour de la
fête des pères, d’où sans doute l’inscription agrafée sur le cadavre. Simple
prêtre, il avait gravi les échelons dans la hiérarchie catholique jusqu’à ce
poste, et on parlait de lui pour celui d’archevêque de Paris. Il paraissait désormais évident qu’il
y avait un point commun entre ces homicides. Sauf si ce n’était qu’un détail
anecdotique destiné à noyer le poisson, les inscriptions sur chaque lieu de
crime avaient été personnalisées. De plus, les quatre victimes apparaissaient
comme des prédateurs sexuels. Il fallait donc fouiller encore et encore dans
leur passé respectif. En outre, l’assassin avait poussé le
souci du détail en choisissant soigneusement les dates : le 23 février
cérémonie des César pour Maury, le 17 avril et l’émission TV pour Berthier, le
26 mai et le tournoi de Roland-Garros pour Picard et le 16 juin, jour de la
fête des pères pour Legrand. Les meurtres avaient été minutieusement préparés
par le criminel qui n’avait pas commis d’erreurs. Le commissaire Genevois,
depuis longtemps fasciné par les tueurs en série, semblait apprécier en
connaisseur la mise en scène des assassinats ainsi que le côté raffiné du tueur.
Le choix du cyanure permettait une élimination en douceur mais on ne savait pas
qui avait pu se procurer le poison. Il n’y avait aucune manifestation de haine
chez ce criminel qui voulait uniquement liquider des êtres malfaisants sans
déverser des flots d’hémoglobine, tout cela était proprement fait. Dans ce
genre d’affaire le modus operandi était en général l’une des caractéristiques principales
d’un tueur en série. Le commissaire nota qu’il avait fait
disparaître quatre personnalités sans mobile avéré : Maury, un acteur qui ne
sera jamais récompensé par un César, Berthier, un philosophe has been en perte
de vitesse, Picard, un joueur de tennis qui ne sera jamais numéro 1 mondial, et
Legrand qui ne sera pas le prochain archevêque de Paris. Le mobile était
peut-être là sous ses yeux, il fallait se pencher très sérieusement sur la
question. Le calepin de l’évêque était le seul
point de départ dont la police disposait. Le commissaire consulta à nouveau
cette liste et soudain il eut une intuition en voyant les prénoms des fils de
deux des victimes : Damien et Thomas, puis un peu plus loin celui de Kévin.
Certes ce n‘était peut-être qu’une coïncidence mais ça valait le coup de
creuser cette piste. Y aurait-il un point commun entre ces trois garçons ?
Ils avaient le même âge et ils avaient été en contact avec Jacques Legrand,
l’une des victimes. Genevois sentit qu’il tenait enfin quelque chose de concret
qui devrait satisfaire sa hiérarchie. « Martini, Duclos vous allez
retourner chez Berthier et Maury pour voir s’il y a d’autres liens entre leurs
fils. Moi je vais rendre visite aux parents de Kévin Picard. » De retour au commissariat, les
inspecteurs confirmèrent les soupçons du commissaire. « Vous aviez raison patron,
Damien et Thomas sont des copains et ils ont aussi pratiqué le tennis avec Kévin.
Tous trois ont suivi des cours de catéchisme prodigués par le père Legrand qui
n’était encore qu’un simple prêtre à l’époque. Et cerise sur le gâteau,
Ludivine, la fille de Berthier, avait bel et bien porté plainte contre Kévin
pour viol. On tient donc un lien solide avec les
enfants, mais cela ne nous avance pas vraiment pour notre enquête concernant
les parents. Quant au meurtre de Legrand accusé de pédophilie, les deux garçons
peuvent être considérés comme suspects mais pour les meurtres de Berthier et
Maury nous n’avons aucune preuve. Donc il faut chercher encore et rassembler
les pièces du puzzle. » En fait c’était peut-être Ludivine le
personnage central de cette affaire car elle était également la petite amie de
Thomas Maury. Aurait-elle pu manipuler son frère et son copain pour assouvir sa
vengeance et peaufiner un plan diabolique ? Ainsi les deux garçons
seraient les meurtriers et ils auraient saisi l’occasion de liquider
l’évêque dans la foulée. Il va falloir interroger à nouveau Thomas et Damien
qui en savent plus long que ce qu’ils nous ont dit. Depuis la mort de Berthier,
les langues commencent à se délier et c’est le moment de leur faire cracher le
morceau. Damien, le fils de Berthier, est le premier à nous apprendre que
Ludivine a été l’objet de rapports sexuels incestueux avec son père quand elle
était plus jeune. Cette dernière nous a d’ailleurs confirmé qu’elle en avait
parlé uniquement à son frère. En interrogeant une nouvelle fois
Thomas Maury, le commissaire eut l’impression qu’il ne lui disait pas toute la
vérité et il fit le forcing pour lui faire avouer que Ludivine avait été aussi
victime d’attouchements de la part de son père. Cette affaire devient de plus
en plus glauque, pensa Didier Genevois. Finalement, après toutes ces
révélations, il ne connaissait toujours pas le nom de l’assassin, ou des
assassins, car il était fort possible qu’ils aient été deux. Possible mais pas
certain. Tous avaient un mobile ainsi
qu’un alibi en béton et ils allaient sans nul doute se couvrir les uns les
autres. Ludivine pouvait avoir tué Kévin, Maury, Berthier et Legrand ou alors
elle n’était peut-être simplement que l’organisatrice de cette hécatombe. En se rappelant les feuilles de
papier agrafées sur les cadavres il se souvint que les quatre victimes avaient
sans doute mérité leur châtiment d’autant plus que dans cette affaire les
coupables présumés étaient eux aussi des victimes. Tous coupables et tous
complices, l’idée était séduisante et peu courante dans une carrière de flic. Le commissaire établit un scénario possible
dans l’ordre chronologique : Damien tue Maury, puis Thomas tue Berthier,
puis Ludivine tue Kévin, puis Damien ou Thomas ou les deux tuent Legrand.
C’était une hypothèse envisageable. L’ennui c’est que la police ne possédait
pas l’ombre d’une preuve, et il allait falloir cravacher pour obtenir des
aveux. Il décida de se concentrer sur Ludivine Berthier qui paraissait être le
maillon faible. C’est elle aussi qui possédait les mobiles les plus sérieux
concernant les trois premiers meurtres. Il laissa le soin à ces adjoints de
cuisiner les deux garçons et la convoqua dès le lendemain pour un nouvel
interrogatoire mais Ludivine s’avéra beaucoup plus coriace qu’il ne l’avait
prévu. Elle répondit à toutes les questions du commissaire, se contentant de
confirmer les réponses données au cours des précédents interrogatoires. En mettant
fin à l’entretien, le vieux briscard eut la désagréable impression de s’être
fait rouler dans la farine. En même temps, le policier pensa que Ludivine avait
les capacités et la détermination nécessaires pour être l’instigatrice de ces
crimes et le cerveau du trio. Lorsqu’il sortit du commissariat, en
ce début du mois de juillet, Didier Genevois se dit qu’il ferait bien de
boucler cette enquête avant de préparer ses valises pour partir en vacances la
semaine suivante à la montagne. En marchant le long de la Seine pour réfléchir
et s’éclaircir les idées, il se demanda si les tueurs en série respectaient la
trêve estivale. Dimanche 14 juillet. Jour de fête
nationale. Le commissaire Genevois ne partira pas en vacances dans son chalet savoyard.
Il a été retrouvé mort à son domicile parisien avec une feuille de papier sur
son bureau indiquant : « enquête terminée. » L’enquête sur le meurtre du
commissaire Genevois fut confiée à Franck Belmont, l’un des meilleurs policiers
de France, et comme sa disparition semblait liée à la série d’assassinats sur
lesquels enquêtait Didier Genevois, il hérita également des meurtres
précédents. Les inspecteurs Martini et Duclos, les adjoints du commissaire,
furent tout naturellement désignés pour l’assister. Belmont reprit donc l’affaire en
cours dès le lendemain de l’assassinat du commissaire Genevois. Son appartement
fut inspecté à fond, mais comme d’habitude la police scientifique ne trouva
rien d’intéressant à se mettre sous la dent. Sans surprise, le rapport du
légiste confirma l’empoisonnement au cyanure. Un élément retint cependant l’attention
de Belmont. Est-ce que ce crime avait un point commun avec les autres, est-ce
que le commissaire, malgré des états de service irréprochables, pourrait lui
aussi être impliqué dans des affaires de mœurs ? Il allait falloir
fouiller dans la vie et le passé de son collègue. Belmont se pencha sur la
carrière de Genevois mais celle-ci était exemplaire, du moins sur le papier.
Après avoir épluché son parcours professionnel, il chercha dans sa vie
personnelle, mais là encore il n’y avait rien d’extraordinaire. Veuf depuis une
dizaine d’années, il avait une fille de 25 ans, Delphine, enseignante. A la
mort accidentelle de son épouse décédée lors d’une randonnée en montagne, il
avait hérité de son chalet à Courchevel où il passait ses vacances d’hiver et
d’été. Avec une vie tranquille consacrée essentiellement à son travail, il
n’avait rien d’un ripou. Alors pourquoi ce message trouvé à
côté du corps dans son appartement ? Le meurtrier savait-il quelque chose
que tout le monde ignorait ? Le tueur avait-il liquidé le commissaire pour
noyer le poisson ? Un crime de plus ou de moins ne semblait pas lui faire
peur. Comme la majorité des tueurs, il irait sans doute jusqu’au bout si
personne ne l’arrêtait. Aucun indice, aucune trace lors de
chaque assassinat : c’était un vrai travail de professionnel. La police
avait juste trouvé une clé paraissant neuve au domicile de Genevois, mais
celle-ci n’ouvrait ni porte, ni tiroir, ni coffre dans l’appartement. Pourtant
ce détail taraudait Belmont. Que pouvait ouvrir ou cacher cette clé ?
Comme le calepin de Monseigneur Legrand, la clé était peut-être l’élément
essentiel de l’enquête. Cet élément s’avérait extrêmement mince mais c’était le
seul auquel il pouvait se rattacher. Pensant qu’il pouvait s’agir d’une
clé de coffre, le commissaire Belmont se rendit donc à la banque où Genevois
possédait un compte numéroté. Hormis quelques liasses de billets, il n’y avait
que des dossiers et des papiers. Belmont revint au commissariat avec son
précieux butin afin de l’examiner de plus près. Les dossiers concernaient les
quatre victimes mais ce n’étaient pas les dossiers officiels de l’enquête, mais
des dossiers personnels sur les emplois du temps, les habitudes, les relations,
les loisirs, la vie quotidienne de chacune d’entre elles. Belmont ne
s’attendait pas à une telle découverte. Didier Genevois avait recueilli un
maximum de renseignements sur les personnalités assassinées mais dans quel
but ? Soudain toute l’affaire s’éclaircit
pour le commissaire Belmont qui avait du mal à réaliser que d’après les
éléments dont il disposait, le tueur en série ne pouvait être que son collègue
Didier Genevois. Pendant des mois, il avait rassemblé
tout ce qui pouvait l’aider à organiser et commettre ces meurtres tout en
menant tranquillement l’enquête officielle qui lui avait été confiée tout à
fait par hasard. Pour quel motif ce policier exemplaire s’était-il transformé
en tueur en série ? Tous ceux qui avait quitté le 36 quai des orfèvres
lors de sa fermeture, tous restaient stupéfaits à la suite de cette nouvelle. Même ses adjoints n’auraient jamais pu
soupçonner leur supérieur. Ce dernier avait su rester discret et n’avait fait
aucun faux-pas d’où le manque d’indices qui avait considérablement ralenti
l’enquête. Belmont fut admiratif devant le coup de génie de Genevois qui avait
fabriqué de toutes pièces le faux calepin de l’évêque et en avait fait une
preuve essentielle dans cette affaire. Franck Belmont relut toutes les notes
de Genevois sur les victimes, le choix des dates, les horaires, les petites
habitudes de chacun. Toutefois il remarqua qu’il y avait aussi les plaintes
déposées pour harcèlement ou viol contre ces personnalités. Était-ce cela qui
avait déclenché cette envie de meurtre ? Belmont se dit qu’il y avait encore
quelques zones d’ombre dans ce dossier et en particulier ce qui reliait le
commissaire et les victimes. Ce qui était maintenant certain c’est que les
autres suspects se trouvaient innocentés suite à la découverte des dossiers de
Didier Genevois. Dans ceux-ci figuraient également des photographies de chaque
victime prises sur le lieu du crime. Toutes ces mises en scène n’étaient
destinées qu’à amuser la galerie. La perspicacité du commissaire Belmont allait
sans doute lui permettre de trouver le motif de ces assassinats. Il se mit à
chercher dans les archives de la police et de la gendarmerie et finit par
trouver. C’était une plainte pour viol déposée par mademoiselle Delphine
Genevois en 2015 mais qui n’avait jamais abouti. Franck Belmont eut un sourire de
satisfaction car il tenait le mobile de Genevois. A défaut d’identifier le
violeur de sa fille, il avait trouvé des coupables de substitution qui
méritaient eux aussi une punition, et il avait donné le change en poursuivant
les interrogatoires des possibles meurtriers qu’il avait sous la main comme si
de rien n’était. Ludivine Berthier fut soulagée
lorsqu’elle apprit que l’on avait trouvé l’assassin, et que celui-ci n’était
autre que le commissaire qui avait essayé de la faire accuser de ces meurtres,
en la cuisinant pour la faire avouer. Elle aussi se demandait pour quelle
raison le policier était devenu un assassin. Mais en fin de compte elle se
réjouit que le commissaire l’ait en quelque sorte vengée tout en la disculpant. En consultant la bibliothèque dans
l’appartement du policier, Belmont avait remarqué la présence de nombreux
ouvrages concernant les tueurs en série. Le commissaire semblait apparemment
très intéressé par le sujet et il avait fini par passer de la théorie aux
travaux pratiques. Cependant l’enquête sur sa mort n’était pas close. En effet
Belmont avait maintenant un doute concernant le meurtre de Genevois. Certes le
modus operandi était en tout point identique aux autres assassinats, mais on
pouvait penser également à un suicide. Rien de plus simple avec le cyanure. De
plus on n’avait pas retrouvé le moindre indice ni le moindre mobile. Genevois à
son tour était présumé coupable comme l’avaient été avant lui Ludivine, Damien
et Thomas. Or grâce aux dossiers rassemblés par le commissaire Genevois, ils étaient
totalement disculpés. Par contre, la mort de ce dernier n’avait aucun sens et
resterait une énigme. C’était peut-être ce que recherchait Genevois en mettant
fin à ses jours. Dans cette affaire, il n’y a jamais
eu de présomption d’innocence. Le commissaire Belmont se dit que dans le doute
et en l’absence de preuves il allait classer l’affaire définitivement : ce
sera un suicide. Cela ne changera pas la face du monde, se dit-il, et il y aura
toujours des tueurs en série, des suspects présumés coupables et des policiers
pour les arrêter. Il n’avait plus qu’à faire son
rapport pour boucler l’enquête et il pourrait enfin partir se reposer en
Provence. |
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