Affaire classée Olivier Masson, le chef de chantier,
avait été appelé à la suite de la découverte d’ossements humains qui avaient
été mis à jour par un tractopelle. Il se dit que dans ces cas-là on devrait
sans doute arrêter les travaux. A la place de ce terrain vague une résidence de
deux immeubles de standing devait voir le jour. On venait à peine d’attaquer
les fondations et le camion benne n’avait cessé de charger et de décharger de
la terre. Le conducteur de la pelleteuse lui aussi avait compris que ce n’était
pas une bonne nouvelle et que la construction des deux immeubles allait prendre
plus de temps que prévu. C’était curieux car on n’avait pas
d’informations sur la présence d’un ancien cimetière à cet endroit. Après avoir
contacté le commissariat pour savoir ce qu’il devait faire, Masson annonça à
toute son équipe la suspension des travaux jusqu’à nouvel ordre, le temps
d’établir s’il s’agissait ou non d’ossements de la période préhistorique ;
dans ce cas les travaux seraient alors suspendus pendant une durée indéterminée
ce qui n’arrangerait personne. Etait-ce par curiosité
professionnelle ? Deux personnes des services archéologiques grenoblois
débarquèrent dès le lendemain après en avoir averti le chef de chantier.
Olivier Masson poussa un soupir de soulagement lorsque les archéologues
confirmèrent que les ossements étaient bien plus récents, sans doute des années
80. Dès lors cela ne les concernait pas et, déçus, ils quittèrent les lieux
sans plus tarder, laissant la place à la police scientifique qui se mit
aussitôt au travail. Le commissaire Belmont fut chargé de
l’enquête par le procureur de la république, ce qui n’était pas vraiment un
cadeau. Après des recherches plus
approfondies, il s’avéra qu’il y avait deux squelettes, un homme et une femme,
enfouis dans ce terrain vague. Franck Belmont demanda à l’un de ses adjoints
d’effectuer les constatations d’usage et de faire le point avec le médecin
légiste. D’après son rapport il s’agissait à n’en pas douter d’un double
meurtre commis lors de la période de construction de l’ancien immeuble. Il ne
fut pas compliqué de retrouver la date des travaux effectués dans ce secteur.
En fait c’était un garage automobile qui datait de l’année 1985 au nom de
Robert Burdin ; celui-ci occupa le bâtiment jusqu’en 2023 date de sa
retraite, et de la vente à un promoteur immobilier qui désirait remplacer cet
ancien garage désaffecté par un immeuble haut de gamme. Le garagiste, qui fit
sans doute une bonne affaire financière, se retira ensuite dans le Midi pour y
couler une paisible retraite. Cependant Belmont remarqua qu’en 1985,
lors de l’ouverture du garage, Robert Burdin avait un associé nommé Gérard Grimaldi,
et une jeune employée, Marlène, chargée de l’accueil des clients et des tâches
administratives. Or l’associé et la secrétaire avaient disparu du jour au
lendemain sans laisser d’adresse. Robert Burdin avait déposé une plainte pour
vol en accusant Grimaldi d’être parti avec le contenu de la caisse. Depuis on
n’avait pas retrouvé la trace des deux tourtereaux. L’affaire fut rapidement classée
sans suite et le garagiste s’était consolé en embauchant une nouvelle
secrétaire qu’il avait fini par épouser. Frank Belmont se dit que cette
histoire d’amour était pour le moins classique et que ce genre de ménage à
trois se terminait mal le plus souvent. Le plus simple, et pour en avoir le
cœur net, c’était d’aller rendre visite à Robert Burdin pour collecter le maximum
d’informations. En plus celui-ci s’était installé à Cagnes-sur- Mer qui n’était
pas le coin de la Côte d’Azur le plus désagréable, et il décida d’y rester deux
ou trois jours pour profiter de la météo plutôt clémente en ce début du mois
d’avril. Le lendemain le commissaire prit la
route du sud. Il arriva à destination en début d’après-midi et se dirigea
directement au domicile de Robert Burdin qui habitait une coquette maison avec
piscine et un bel espace vert sur les Hauts de Cagnes. Tout en sonnant à la
porte, Belmont se dit qu’une telle propriété devait coûter une blinde. C’est Burdin
lui-même qui ouvrit la porte et l’invita à s’asseoir dans le salon. Sans tarder,
le policier entra dans le vif du sujet en informant Burdin de la macabre
découverte à la suite des travaux effectués à l’ancienne adresse du garagiste.
Ce dernier sembla aussitôt sur la défensive tandis que Belmont lui apprenait
que l’enquête sur la disparition soudaine de son ancien associé était désormais
réouverte et que de nouveaux éléments allaient sans doute permettre d’éclaircir
cette affaire. Pendant la durée de l’entretien entre les deux hommes, Robert
Burdin parut mal à l’aise et répondit avec parcimonie aux questions de plus en
plus précises du policier, en répétant plusieurs fois qu’il n’avait rien à voir
avec la disparition de son associé et de sa secrétaire. Il rappela que dans
cette affaire c’était lui la victime puisque Grimaldi était parti avec la
caisse du garage : une affirmation qui aurait maintenant peu de chance de
tenir à la suite de la découverte des deux corps. Belmont continua son interrogatoire,
essayant de percer la carapace de l’ancien garagiste, mais le bonhomme était
coriace et le commissaire renonça à le faire avouer dans l’immédiat, se
contentant de questions sur ses relations avec Gérard Grimaldi et avec Marlène
Bourgeois. Cependant, les réponses évasives données par Burdin ne faisait guère
avancer son enquête. Pour terminer, et avant de mettre fin à leur conversation,
il l’informa que la police scientifique allait certainement trouver de nouveaux
indices permettant de déterminer avec exactitude l’identité des victimes. Dans
l’attente des résultats de l’enquête, Belmont lui demanda de rester à la
disposition de la gendarmerie et de ne pas quitter le territoire. Plus tard dans la soirée, alors que
le commissaire Belmont cherchait un restaurant en bord de plage, afin de
déguster un plateau de fruits de mer face à la grande bleue, le garagiste, lui,
s’était mis à gamberger à la suite des échanges avec le policier, se demandant
quelles preuves ou quels indices pouvaient avoir les flics. Devait-il appeler
son avocat ? Mais ceci pourrait être perçu comme un signe de culpabilité.
Mieux valait temporiser, et il aviserait plus tard suivant le déroulement de
l’enquête. Robert Burdin se servit un whisky pour se redonner du courage et
s’affala sur son canapé pour y réfléchir. Toutefois il ne put éviter de se
pencher à nouveau sur son passé. Il se rappela sa relation amoureuse
avec la jolie Marlène avant qu’il ne découvre qu’elle le trompait avec Gégé,
son pote et associé. Une violente dispute éclata un soir entre eux deux et la
bagarre qui suivit se termina par une mauvaise chute de Gérard qui avait perdu
connaissance. C’est à ce moment-là que Robert décida de se débarrasser
définitivement de lui. Mais il se rendit compte qu’il fallait aussi faire
disparaître celle qui l’avait trahi. Cela rendrait également plus crédible sa
version de la disparition des deux amants partis en vidant le tiroir-caisse du
garage. Robert Burdin assomma Marlène d’un coup derrière la tête. Il n’eut pas
à frapper une deuxième fois. Il enterra le soir même les deux cadavres dans le
terrain vague jouxtant le garage. Et voilà que cette affaire qu’il croyait
réglée à jamais venait de refaire surface. Il alla se coucher, mais ruminant
les paroles du policier, il eut du mal à s’endormir. Le lendemain Franck Belmont se leva
en forme après une bonne nuit de sommeil, et prit son petit déjeuner à la
terrasse de l’hôtel. Puis il téléphona à son adjoint pour avoir des nouvelles,
et savoir si la scientifique avait avancé dans ce dossier. Les analyses
confirmèrent l’identité des squelettes ainsi que l’hypothèse d’un crime
passionnel dont le principal suspect n’était autre que le garagiste Robert
Burdin ; qui fut cueilli à son domicile par la gendarmerie alors qu’il se
préparait à quitter Cagnes-sur-Mer. Belmont l’attendait au poste de police pour
un nouvel interrogatoire. Burdin reconnut les faits, tout en niant avoir
prémédité ce meurtre, comme la plupart des criminels. Mis en garde à vue, il
serait transféré dès le lendemain à Grenoble. Quant
à Franck Belmont, il s’octroya un jour supplémentaire de farniente sous
le soleil de la Côte d’Azur. Après tout, il l’avait bien mérité. |
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