Disparition

 

A 17h l’école de quartier Jacques Prévert libéra en ce vendredi de septembre son contingent d’enfants qui s’éparpillèrent aux alentours pour rejoindre leurs domiciles respectifs. Un quart d’heure plus tard, ne voyant pas rentrer sa fille Mathilde, Elodie Renaud décida d’aller la chercher mais elle trouva déjà porte close, les écoliers n’ayant pas traîné en cette fin de semaine.

Elle commença à s’inquiéter et appela sans tarder la meilleure amie de sa fille. Celle-ci fut surprise et indiqua qu’elles s’étaient quittées devant l’école car sa mère était passée la prendre en voiture. Elodie appela d’autres copines de Mathilde mais sans grand succès. Personne ne l’avait vue depuis sa sortie de l’école.

Elodie fit encore une fois le tour du quartier puis elle se rendit à la gendarmerie pour lancer un avis de recherche. La rumeur de la disparition de Mathilde se répandit très vite et déjà des voisins offraient spontanément leur aide. Il est vrai que ce genre de fait divers se multipliait de plus en plus fréquemment dans les médias. Les recherches ne donnèrent rien et l’on se donna rendez-vous le lendemain pour poursuivre les investigations et tenter de retrouver la fillette. Parallèlement les gendarmes continuaient leur enquête mais aucune personne interrogée ne put fournir d’indices. Il fallut bien se rendre à l’évidence, Mathilde avait sans doute fait une mauvaise rencontre et cette affaire s’annonçait difficile. Une fois de plus il faudrait compter sur la chance pour trouver le ravisseur.

Dans ces affaires de disparition il faut faire vite car les probabilités de retrouver les personnes disparues en vie s’amenuisent rapidement au fil du temps. La gendarmerie déploya tous ses effectifs disponibles qui ratissèrent le secteur autour de l’école et sur le trajet habituel de la fillette. Malheureusement cette chasse à l’homme ne donna aucun résultat. Il faut dire que la police ne possédait pas d’éléments susceptibles de faire avancer l’enquête. On avait bien quelques témoins qui auraient aperçu un véhicule gris proche de l’école Jacques Prévert, mais rien de vraiment fiable.

A la PJ aussi on avait mis les moyens et mobilisé le maximum de personnel. Le commissaire Franck Belmont dirigeait un groupe d’une dizaine de policiers qui procédaient par recoupement des infos recueillies sur le terrain. On finit par identifier un véhicule de marque Toyota qui sembla correspondre à celui recherché. Un individu suspect fut interpelé quelques jours plus tard et placé en garde à vue avant d’être libéré le jour même faute d’éléments solides. Belmont ne put s’empêcher de rapprocher cette disparition avec une autre affaire d’enlèvement qui avait eu lieu trois mois auparavant dans la banlieue grenobloise. Cette disparition qui avait provoqué un vif émoi dans la population n’était toujours pas résolue. Nora une fillette de 10 ans avait disparu elle aussi à la sortie de l’école. Le procureur comptait sur une résolution rapide de l’affaire et donc sur l’efficacité de Belmont avant qu’une psychose ne se répande dans la population.

Le commissaire reprit donc aussi le dossier sur la disparition de la petite Nora une copie conforme de Mathilde, même âge, même blondeur mais il ne trouva aucun indice susceptible de booster les recherches. Il va falloir se remonter les manches, se dit le policier qui convoqua l’ensemble de ses troupes pour faire le point. « Inutile de vous faire un dessin, le procureur attend des résultats. Il peut s’agir d’un serial killer et dans ce cas-là il faut le mettre hors d’état de nuire au plus vite. Vous allez reprendre l’enquête depuis le début et en vérifier tous les détails. »

Les gendarmes et les policiers se partagèrent le secteur et interrogèrent à nouveau le voisinage. Il y avait désormais deux affaires identiques et sans doute un seul et même ravisseur. Lors de l’enquête faisant suite à la disparition de Nora, un témoin avait signalé la présence d’un individu suspect proche de l’école. Ce dernier était vêtu d’un jogging, mais le témoin n’avait pu voir son visage car l’individu portait une capuche. On n’avait pas suivi cette piste qui refit surface par suite de la disparition de Mathilde car un nouveau témoin avait à son tour signalé la présence de cet individu dans les parages sans pour autant donner d’autres détails. Cet élément méritait cependant d’être approfondi. Belmont commençait à y voir un peu plus clair au sujet de ce suspect plutôt jeune qui devait sans doute avoir un véhicule à proximité car il semblait difficile d’enlever un enfant en passant inaperçu sauf si le kidnappeur était connu des deux fillettes. La gendarmerie tenta de concentrer ses efforts sur les quartiers proches des deux écoles en recoupant les indices. Les enquêteurs se mirent à la tâche effectuant des rondes pour savoir si un véhicule avait été vu dans ces deux quartiers. C’était un travail de longue haleine mais pour ce genre de recherche il fallait demeurer patient. De toute façon en absence d’indices les policiers n’avaient pas d’autre alternative : recouper, fouiller et progresser lentement sans négliger le moindre détail. Et puis l’enquête sur la disparition de Nora allait prendre une orientation nouvelle avec un coup de théâtre totalement inattendu. Nora avait été retrouvée. Il s’agissait finalement d’un simple enlèvement d’enfant par son père qui avait réussi à l’emmener au Maroc son pays d’origine.

Dès lors la piste du serial killer n’était plus d’actualité et la police pouvait maintenant se concentrer uniquement sur la disparition de Mathilde.

Un mois avait passé depuis l’enlèvement et aucun élément nouveau n’avait fait avancer l’enquête au grand désespoir du commissaire Belmont. Alors que les gendarmes avaient fini par abandonner leurs recherches, il n’y avait plus que lui et son équipe qui restaient mobilisés sur cette affaire. Mais c’est grâce à une nouvelle tentative d’enlèvement avortée à la sortie d’une autre école de la banlieue grenobloise que la police avait glané des renseignements plus précis sur un individu suspect. L’individu en question aurait tenté d’aborder une fillette mais aurait éveillé des soupçons de la part d’un témoin. Se sentant repéré, l’homme aurait pris la fuite à bord d’une Toyota grise. Même attitude, même tenue de jogging, même véhicule, même modus operandi c’était sans doute le kidnappeur que l’on recherchait. Cependant cette fois-ci la police possédait un signalement un peu plus précis. Un homme plutôt jeune, de taille moyenne, brun, de type européen, une description à partir de laquelle on avait pu établir un premier portrait-robot.

A partir de quelques témoignages on avait pu recueillir des informations complémentaires ainsi qu’une partie de la plaque d’immatriculation du véhicule. Elodie Renaud, la maman de Mathilde se rendit à l’hôtel de police pour signaler qu’elle avait repéré dans une rue voisine un modèle Toyota semblable à celle décrite par un témoin. Franck Belmont se demanda si on n’était pas passé à côté lors des premières investigations. Il décida de convoquer Antoine Perraud l’individu suspecté pour un nouvel interrogatoire plus poussé. Dans le même temps une équipe de la police scientifique ferait des recherches et analyses sur la Toyota ainsi qu’une perquisition à son domicile.

Le commissaire trouva quelques détails troublants. Tout était parfaitement rangé. L’appartement paraissait avoir été nettoyé entièrement et à fond tout comme le véhicule. Il nota également la présence d’un autocollant publicitaire sur la vitre arrière de la Toyota et en prit une photo. On ne sait jamais ! Pensa-t-il. En attendant on va le faire mijoter en garde à vue. Jusqu’à tard dans la soirée Belmont et son adjoint se relayèrent pour le faire avouer. Tous deux étaient désormais convaincus que le coupable de l’enlèvement était là devant eux et ils n’avaient pas l’intention de le relâcher dans la nature. Pourtant il fallait faire vite car pour l’instant ils ne possédaient rien de tangible, ni mobiles, ni preuves. Tout juste relevèrent-ils quelques contradictions lors de son interrogatoire.

Belmont se souvint alors de la photo de la Toyota à l’arrière du véhicule d’Antoine Perraud. Il sortit son téléphone mobile pour le consulter en détail. C’était un autocollant du club de judo de la ville. Le commissaire annonça à son adjoint qu’il irait voir le lendemain matin s’il pouvait récolter des infos intéressantes sur le suspect.

Le président du club le reçu dans son bureau. Aux questions qu’il lui posa ce dernier lui répondit qu’il ne connaissait pas très bien Antoine Perraud, un garçon plutôt renfermé qui avait provoqué des incidents au sein du club de judo. Son comportement envers les enfants notamment avaient été jugé inapproprié. Il avait reçu un avertissement de la part du président et à la moindre récidive ce serait l’exclusion. L’entraineur du club confirma que Perraud avait été l’objet de plaintes de la part de parents et que les judokas responsables l’avaient depuis dans le collimateur.  

Après son passage au club de judo, Belmont retourna à l’hôtel de police pour reprendre l’interrogatoire de Perraud en utilisant les renseignements recueillis. Lorsque le commissaire évoqua les gestes déplacés du prévenu, celui-ci sembla troublé mais nia les faits qui lui étaient reprochés. Belmont sentit qu’il tenait le kidnappeur de la fillette et il lui signifia la prolongation de sa garde à vue pour complément d’enquête. Puis pour pouvoir obtenir son maintien en détention provisoire il avait conseillé aux parents du club de judo concernés de déposer une plainte contre Perraud. Le policier n’était toutefois pas entièrement satisfait car il était bien conscient de l’insuffisance des éléments contenus dans ce dossier. Seuls les aveux de Perraud pourraient le mettre hors d’état de nuire et pour cela il fallait le garder sous pression.

En rentrant chez lui ce soir là il eut une pensée pour la petite Mathilde et ses parents. Dans ce genre d’affaire d’enlèvement d’enfant il n’y a guère de dénouement heureux et les jours qui passaient ne donnaient pas beaucoup d’espoir de la retrouver vivante. Cependant s’il n’y avait qu’une infime chance de la retrouver il fallait la jouer à fond. Le commissaire Belmont n’était pas du genre à baisser les bras et se promit de rattaquer tambour battant dès le lendemain.

Cette idée le tint éveillé une partie de la nuit et il se demanda où Antoine Perraud avait bien pu séquestrer sa victime sans se faire remarquer.

Belmont décida de bluffer en annonçant au suspect que la police scientifique avait trouvé des cheveux appartenant à Mathilde dans son véhicule et que ce n’était désormais plus qu’une question temps. Il conseilla vivement au prévenu de dire la vérité et de reconnaitre les faits. La fillette était-elle encore en vie ? Où se trouvait-elle ? Le commissaire crut un instant que Perraud allait parler avant de suivre les recommandations de son avocat qui lui conseilla de se taire.

Faute d’éléments suffisants Antoine Perraud ne put être maintenu en détention plus longtemps. Il quitta la ville discrètement peu après.

C’est tout à fait par hasard que le corps de Mathilde fut retrouvé quelques jours plus tard au sud de Grenoble par des ramasseurs de champignons.

Cette macabre découverte raviva de douloureux souvenirs parmi la population et Franck Belmont fut bien entendu chargé de reprendre l’enquête.

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