La Sicile en vélo | ||
Du 7 au 17 mai 1997, une quarantaine d'adhérents de la section cyclo ont participé à un voyage en Sicile. Après un long parcours en car jusqu'à Naples sans trop de problèmes (mis à part un bouchon sur l'autoroute où un poids lourd s'était renversé avec son chargement) , nous embarquons vers 20 heures et regardons s'éloigner la baie napolitaine illuminée et le mythique Vésuve couronné par une écharpe de nuages diaphanes, alors que déjà nos pensées nous entraînent vers notre imminent périple sicilien. Nous arrivons à Palerme vers 7 heures le lendemain après une nuit passée sur le bateau avec une mer quelque peu houleuse. Nous nous dirigeons en car vers Monreale, départ de la première étape, la sortie en vélos de Palerme ne nous paraissant pas très agréable. Par inadvertance, nous nous engageons dans le centre-ville de Monreale et nous devons rapidement nous rendre à l'évidence : il s'avère impossible et interdit de passer avec le car, à fortiori en tractant une remorque. Après une série de manoeuvres délicates, notre chauffeur réussit cependant à nous extirper de ce guêpier circulatoire sous le regard totalement désintéressé des carabiniers locaux. Retour à la case départ, perte de temps; notre aventure sicilienne commence plutôt mal !
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Nous décidons tout de même d'enfourcher nos montures sous un ciel pour le moins incertain. D'entrée il nous faut nous réhabituer à pédaler en attaquant l'ascension de notre premier col. Après quelques kilomètres de montée, les nuages menaçants libèrent une violente averse nourrie par de fortes rafales de vent. Dans les premiers lacets de la descente, j'aperçois devant moi un berger allemand (ou plutôt sicilien) qui, en appui précaire sur ses pattes, s'adonne bien involontairement à une figure de patinage qui n'a rien d'artistique. Cette rencontre insolite m'incite à la plus élémentaire prudence sur cette route mouillée. Heureusement, après quelques minutes, la pluie cesse. Nous ne sommes pas toutefois au bout de nos peines car arrivés au pied de la descente, nous trouvons la route barrée pour cause de course cycliste. Nous essayons de parlementer avec le policier de garde au carrefour, mais celui-ci s'avère intransigeant. Dans le même temps, un autochtone particulièrement agacé commence à discuter et à gesticuler avec le carabinier, puis se met à courir, pourchassé immédiatement par le sbire en uniforme. Ce sketch inattendu dans la plus pure tradition de la "Comedia del'Arte" nous permet finalement de sauter sur nos bicyclettes. Profitant de la diversion, nous pédalons comme des forcenés sur la route aimablement dégagée par la gendarmerie. Nous allons ainsi parcourir plusieurs kilomètres sur le circuit de la course sans demander notre reste. Nous rejoindrons ensuite sans encombres le site antique de Segesta où se dresse un magnifique temple grec édifié au 5ème siècle avant JC. Puis après un détour par le somptueux golfe de Castellamare et la récupération du groupe des vététistes, nous allons en car jusqu'à la vieille ville d'Erice par une belle montée en lacets que nous n'avons malheureusement pas le temps d'effectuer en vélo. Après une visite éclair de la ville, il nous faut en effet encore rallier Porto Empedocle près d'Agrigente où l'hôtel nous attend pour un repos bien mérité.
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Le soleil brille dans un ciel dégagé et le parcours nous emmène sur des petites routes tranquilles où nous retrouvons le plaisir de rouler dans une sérénité digne d'un clan de cyclos siciliens venant de mettre à la raison quelques flingueurs impétueux. Au retour, nous empruntons l'incontournable vallée des temples où nous délaissons un moment nos bécanes pour une rapide visite et quelques photos. Nous y retrouvons le deuxième groupe et c'est en peloton que nous reprenons la route de l'hôtel. Nous y sommes accompagnés un instant de manière un peu incongrue par un élégant sulky.
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3ème étape : Caltanissetta-Piazza Armerina. 80 kms. Dénivelée 1150 m. Pour cette troisième journée, nous avons décidé de changer de région et de prendre le car qui nous dépose à Caltanissetta. Après une descente, nous entamons le premier col du parcours. A quelques encablures du sommet, je lance le sprint de la voix pour rigoler. Vincent démarre au quart de tour, Michel embraye aussitôt dans sa roue et casse sa chaîne. Voilà à nouveau une journée qui commence sur les chapeaux de roues! Je crois que le col de Stretto Benesiti, gravi par ailleurs sans réelle difficulté, ne constituera pas le meilleur souvenir de notre séjour, d'autant que la chaîne remontée avec les moyens du bord lâchera une nouvelle fois au bout de quelques centaines de mètres. Plus tard, la montée jusqu'à la vieille ville d'Enna s'avèrera bien plus difficile, pas très longue, mais avec un pourcentage plus sélectif. Parvenus au sommet, nos regards peuvent embrasser une grande partie de la Sicile et l'Etna qui laisse échapper d'inquiétantes fumeroles. Au terme de l'étape, nous retrouvons le car à Piazza Armerina puis terminons la journée par la visite de la villa romaine del Casale et ses magnifiques mosaïques étonnamment conservées.
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4ème étape : Agrigente-Agrigente. 127 kms. Dénivelée 1100 m. Départ à vélo pour un circuit agrémenté de 7 petits cols qui nous emmène sur les routes de la Sicile profonde. Nous avons quelquefois des difficultés à trouver notre chemin car les panneaux directionnels sont souvent placés de manière fantaisiste. Heureusement, les siciliens de la campagne sont très serviables. L'un d'eux stoppe et descend même de son automobile pour nous indiquer l'itinéraire à suivre avec force gestes et explications volubiles. Nous repartons en le remerciant chaleureusement, mais qu'elle n'est pas notre surprise de l'apercevoir à nouveau deux kilomètres plus loin, arrêté près d'un croisement pour nous montrer la bonne direction. Il y a bien là de quoi réviser nos opinions toutes faites sur les siciliens. Nous prenons aussi beaucoup de plaisir à rouler sur ces chemins parfois bordés de petites fleurs mauves ou de champs mouchetés de rouge et de jaune dignes des plus belles toiles impressionnistes. Partis très tôt le matin, c'est à une bonne allure que nous bouclons l'étape afin de pouvoir visiter l'après-midi les vestiges de la ville antique de Selinonte. Si tout se déroule parfaitement dans notre petit groupe,
deux chutes seront cependant à déplorer ce jour-là avec des blessures
spectaculaires mais sans gravité: Michel Bayo aura la cheville entaillée
par son pédalier qui devait sans doute avoir une dent contre lui et Michel
Maigre roulant tête baissée a fini par la cogner sur le bitume.
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Il faut tout de même se farcir 400 kilomètres pas toujours très roulants et nous devons à regret faire l'impasse sur quelques visites intéressantes, nous contentant d'une seule halte à Syracuse pour contempler l'immense théâtre grec où jadis Eschyle joua lui-même sa célèbre tragédie "les Perses", l'amphithéâtre romain où se déroulèrent de sanglants combats de gladiateurs et une ancienne grotte artificielle appelée "Oreille de Dionysos". Puis nous prenons la direction de Catane avec en toile de fond l'imposante masse de l'Etna dont nous nous rapprochons inexorablement et qui occupe déjà nos esprits autant que nos regards. Enfin nous atteignons Taormina, perle de la Sicile avec ses criques pittoresques et sa côte rocheuse de toute beauté. L'hôtel situé à 100 mètres de la plage, face à la mer, nous inciterait davantage au farniente ou à la baignade qu'aux escapades vélocipédiques dans l'arrière pays. Pourtant nous sa-vons que dès le lendemain, nous allons de nouveau enfourcher nos machines infernales.
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6ème étape : Taormina-Taormina. 115 kms. Dénivelée 1600 m. C'est reparti pour un itinéraire vallonné sur les premiers contreforts de l'Etna que nous quittons bientôt pour l'ascension d'un col aux larges lacets. Tout au long de cette montée nous pouvons admirer la face nord du volcan encore enneigée et profiter pleinement du superbe panorama qui s'étend devant nos yeux. La partie supérieure du col Mandrazzi est principalement forestière et un important troupeau de vaches semble se disperser parmi la végétation environnante surveillé de loin par deux bergers. Nous ne pouvons malheureusement nous attarder plus longtemps dans ce paysage bucolique et redescendons vers Taormina par la route longeant les gorges d'Alcantara. La fin d'après-midi sera consacrée à la découverte de la vieille ville et du site incomparable de son théâtre grec surplombant la baie, haut-lieu touristique immortalisé à jamais par d'innombrables cartes postales.
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approche pas très excitante assortie d'une traversée de ville désagréablement toxique et bruyante avant d'accéder aux 19 dernières bornes et 1300 mètres de dénivelée qui nous conduiront là-haut, au bout d'une route d'ailleurs fort belle. La première partie de la montée s'effectue dans la forêt, puis le décor change pour laisser la place à un paysage lunaire et ses coulées de lave noire. La route goudronnée s'arrête à 1900 mètres d'altitude. Les vététistes graviront pour leur part la partie supérieure qui les mènera à 300 mètres du cratère du volcan qui ne manquera pas de se manifester par quelques grondements peu rassurants. Après cette ascension de la face sud, nous regagnerons notre base par une agréable variante qui serpente sur les flancs de la montagne nous offrant une vue imprenable sur la côte entre Catane et Taormina.
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8ème étape : Taormina-Palerme. Une nouvelle fois, nous devons annuler le parcours vélo si nous voulons rejoindre Palerme dans les délais prévus pour l'embarquement, le chargement des bicyclettes dans la remorque s'avérant tout à fait rédhibitoire. C'est donc en car que nous mettons le cap sur Messine (nous n'aurons pas le temps d'y pêcher la sardine) avant de longer la côte septentrionale de l'île avec une halte à Cefalù et son rocher. Arrivés à Palerme, il nous reste une petite heure pour flâner sur un marché local haut en couleurs qui propose des étals abondamment garnis de fruits et de poissons, les deux spécialités de la Sicile. Si l'embarquement et la traversée s'effectuent sans problèmes sur une mer d'huile, un comité de réception de carabiniers, l'arme au poing, attendent notre bateau sur le quai du port de Naples. Quelques-uns d'entre-nous seront d'ailleurs contrôlés avant l'arrestation d'un passager. Cet épisode nous rappelle ainsi à une triste réalité pour un temps oubliée. Nous n'avons plus désormais qu'à reprendre la direction du nord avec une dernière péripétie (crevaison d'un pneu de la remorque à vélos) pour une arrivée à Grenoble au milieu de la nuit. | ||
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Ce bref carnet de voyage ne saurait évidemment être limité à des souvenirs et impressions personnelles glanées çà et là durant ce séjour et chacun aura sans doute puisé dans les paysages et les sites visités la substantifique moëlle d'un attrait touristique indéniable à défaut d'avoir percé les mystères de l'âme sicilienne. Oubliant la fatigue ou les petits tiraillements inévitables au sein d'un groupe aussi important, ces quelques pages feront je l'espère revivre chez les participants les meilleurs moments de ce voyage en Sicile. Sur cette île qui vit aborder tant de peuples d'origines diverses, bâtisseurs de temples gigantesques, nous sommes venus verser nos gouttes de sueur pour le simple plaisir éphémère d'une bonne partie de manivelles. Il semblerait cependant que certains d'entre-nous aient laissé une trace plus durable de leur passage. On prétend même que chaque soir, les routes de la région de Taormina sont désormais hantées par un cyclo fou sur un scooter démoniaque. Mais ceci ne peut être bien sûr que le fruit de l'imagination sicilienne... | ||
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