Voici une histoire qui se déroule dans le milieu du cyclisme professionnel. Bien qu'ayant pour cadre une course comme le critérium du Dauphiné, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existées ne serait évidemment que pure coïncidence.


L'échappée belle

C’est mon premier critérium. J’en ai tellement rêvé et maintenant j’y suis. J’ai du mal à y croire. Il y a une semaine, je n’étais encore que simple remplaçant dans l’équipe cycliste « La Charcutière » et voilà que deux jours avant le départ du Dauphiné Libéré, l’un des mes équipiers contracte une mauvaise bronchite qui le contraint à renoncer à la course. Jacques Maurel, mon directeur sportif, est venu m’annoncer : « Grégory, j’espère que tu es en forme, toute l’équipe compte sur toi. J’ai décidé de t’inscrire sur la liste des engagés. » Alors que je savoure ce grand bonheur, je sais aussi que je dois saisir cette chance pour me montrer et faire un bon résultat afin de gagner ma place de titulaire.

L’épreuve débute par un contre la montre à Aix les Bains. La veille au soir, je suis allé méditer au bord du lac du Bourget comme le fit jadis le poète Lamartine. Pour moi aussi, le temps venait de suspendre son vol.

Je me revis enfant, courant jusqu’au bout de ma rue, puis collant le nez contre la vitrine du marchand de cycles pour y admirer les rutilantes machines de course. Le patron du magasin, comme la plupart des vélocistes, était un passionné. Désormais à la retraite, il portait un nom qui fleurait bon le métier : il s’appelait Emile Guidon. Le bougre n’avait pas son pareil pour inoculer le virus de la bicyclette à tous les gamins curieux qui s’aventuraient dans sa boutique. C’est ainsi que je devins membre de l’école de cyclisme dans le club local dont il avait la charge. La roue de mon destin venait de tourner dès l’instant où je mis mes pieds sur les pédales et mes fesses sur la selle d’un vélo de course. Assidu aux entraînements et toujours disposé à donner le meilleur de moi-même, je devins très vite le protégé du Mimile qui avait sans doute déjà détecté en moi des prédispositions naturelles pour la pratique de ce sport exigeant. A l’apprentissage initial succédèrent les premières courses et les premières émotions. Je franchis les catégories minimes, cadets, juniors, puis les différents échelons du cyclisme amateur, engrangeant des succès qui me permirent à 22 ans d’intégrer l’équipe « La Charcutière » et de signer mon premier contrat professionnel. Quand j’y songe maintenant, avec pour seul témoin silencieux le lac du Bourget, il me semble que c’était hier. Et demain, ce sera le départ de la plus importante course de ma carrière.

Le prologue ne s’est pas trop mal passé. Je termine à la 6ème place après avoir donné tout ce que j’avais dans le ventre. Avant même le premier coup de pédale, lorsque le speaker a annoncé : « Grégory Perrin au départ », mon palpitant devait déjà battre à 150 pulsations, mais après un kilomètre d’échauffement, l’adrénaline est retombée et tout est rentré dans l’ordre. J’attends la prochaine étape avec impatience.

Ça y est, cette fois c’est parti, je suis vraiment dans le grand bain, au cœur d’un peloton au sein duquel je côtoie les cadors de la discipline. C’est l’étape la plus longue avec ses 224 kilomètres. Elle nous emmène jusqu’à Givors, au confluent du Gier et du Rhône. Pas le temps de jouer les touristes ou de musarder. L’objectif de la journée est d’éviter de se faire lâcher et pour un néo-pro, ce n’est déjà pas une mince affaire car, en tête du peloton, les équipiers des sprinters n’amusent pas le terrain. La consigne du directeur sportif est de se glisser dans les échappées. La mienne, plus modeste, est de tenter de rallier l’arrivée en y laissant un minimum de forces afin de tenir toute la semaine.

Mission accomplie pour ce qui constituait mon objectif personnel. Après l’étape, s’est déroulé l’immuable rituel cycliste : douche, massage, repas et dodo, agrémentés pour certains coureurs du non moins traditionnel contrôle anti-dopage ; à peine le temps de croiser la souriante blondeur d’une ravissante hôtesse dans le village des coureurs. Le lendemain, une visite des monts du Haut-Beaujolais nous était proposée comme plat de résistance. Pour souffler un peu, ce n’était pas l’idéal, et mieux valait attendre le contre la montre de Roanne. L’arrivée à Chauffailles donna lieu à un nouveau sprint, et l’ensemble de l’équipe, qui ne s’était guère montrée durant cette journée, se fit remonter les bretelles par Maurel. Pour ma part, j’étais plutôt satisfait de mon début de critérium et je ne pus empêcher mon esprit de vagabonder. Mes coéquipiers, tête basse, subissaient religieusement les aboiements courroucés du coach, alors que la charmante apparition de la veille revint furtivement s’immiscer dans mes pensées.

Un contre la montre de 46 kilomètres, ce n’est jamais une promenade de santé, il faut rouler à fond du début à la fin. Pourtant, si j’ai conservé un souvenir précis de ce jour-là, ce n’est pas à cause du parcours ni de ma place dans les profondeurs du classement, mais c’est de l’avoir revue. N’ayant malheureusement pas encore eu les honneurs du podium et devant me plier aux habituelles obligations d’après course, je profitai de cette étape et de ma prestation du début d’après-midi pour m’octroyer un peu de temps libre en flânant parmi les spectateurs en attente des derniers arrivants. La belle se tenait près de l’estrade en compagnie d’autres hôtesses, mais bien évidemment je ne vis qu’elle. Je filai un coup de coude à Ludo, mon compagnon de chambrée qui venait de me rejoindre, en lui demandant s’il ne connaîtrait pas par hasard la jolie blonde en tailleur bleu. Il faut vous dire que Ludo est toujours au courant de tout ce qui se passe dans notre microcosme. Cette fois encore bingo ! « Bien sûr, me répondit-il, c’est Elodie, la sœur de Romain Delmonte, le coureur de l’équipe G2L ; c’est elle qui est chargée de remettre le maillot bleu du combiné et de la combativité lors de la cérémonie protocolaire. Je peux te dire que dans le peloton, il y en a quelques-uns qui aimeraient bien se la faire. » Je décide de rester un moment et d’attendre la fin de la remise des maillots. Je sais que je n’aurai guère le temps de m’attarder car ce soir il nous faudra rejoindre Tournon d’où sera donné le départ de l’étape du lendemain. Dès que l’occasion se présente, j’y vais la tête dans le guidon : « quand on voit une belle fille comme vous, remettre le maillot, ça donne envie d’être combatif » ou « pour une bise de vous à l’arrivée, je suis prêt à faire rougir mes pédales. »

Ça a marché. Hier soir, j’ai réussi à l’aborder. Elle a souri à mes plaisanteries même pas très fines et on a pu faire connaissance et bavarder un peu. Mais aujourd’hui, l’ambiance n’est plus à la rigolade. On va abandonner la riante vallée du Rhône et ses vignobles pour les rudes pentes du Mont-Ventoux. Le géant de Provence impressionne toujours autant, et ça balise sec sous les casques pour les néophytes comme moi qui vont l’aborder en course pour la première fois. Il va falloir se sortir les tripes pour réussir à atteindre le sommet à une place honorable. Le peloton va sans aucun doute arriver groupé au pied du mur et après ce sera chacun pour soi.

Dans les premières rampes je me sens bien, comme si j’étais resté sur mon nuage de la veille. Avec l’inconscience du débutant, j’y vais même de ma petite accélération comme si j’étais soudain devenu le roi de la montagne. Mais chez les grimpeurs, on commence à s’activer, le rythme est soutenu et les attaques se mettent à fuser de toutes parts. Le peloton s’étire, se casse, s’éparpille. Les coureurs s’arc-boutent sur leurs arachnéennes montures qui déroulent inexorablement leur fil tout au long de la pente. Dans le rouge depuis un moment, je perds pied tout à coup regardant s’éloigner la tête du peloton. Alors que nous sommes seulement à mi-montée, je suis à la ramasse avec l’arrière-garde, cherchant désespérément mon second souffle mais ne le trouvant pas. Serais-je victime de la fringale tant redoutée des coursiers ? J’ai l’impression d’être collé au goudron, mes jambes ne répondent plus et je pédale avec les oreilles. Combatif, je voudrais l’être, mais je n’ai plus rien dans les chaussettes. Le spectre de l’abandon me traverse douloureusement l’esprit. Je tente de boire, de m’alimenter, de mouliner, mais le mal est fait. Désormais, il ne me reste quasiment plus que la prière pour me permettre de sauver les meubles et d’éviter le naufrage. La tête dans le seau, je suis passé devant la stèle à la mémoire de Tom Simpson. Au sommet, il y a belle lurette que tout le monde a commencé à plier bagages, lorsque j’arrive enfin, exténué et hagard. L’espace d’un instant, je crois apercevoir Elodie qui me sourit, mais ce ne peut être qu’un rêve…

Vaison-la-Romaine à son tour accueille le critérium. Comme j’aimerais passer le pont sur l’Ouvèze et parcourir les petites rues de la cité médiévale, avec mon Amélie Poulain du vélo à mes côtés. Pourtant, une fois encore, le programme de la journée est tout autre avec la Drôme provençale, la Croix-Haute, le Trièves, la Matheysine et pour terminer la côte des Quatre Seigneurs avant de plonger sur Grenoble. Après ma défaillance d’hier, je n’en mène pas large et n’espère qu’une chose : rester dans le peloton malgré le parcours plutôt vallonné. Le soigneur de l’équipe a fait son possible pour me retaper et la nuit de sommeil n’a pas été de trop. Sur la ligne de départ, je me sens à peu près requinqué. Heureusement, le début de l’étape s’est effectué à un train raisonnable et la course ne s’est décantée que tardivement, ce qui m’a permis de rejoindre la capitale des Alpes un peu moins cuit que la veille. Je n’ai certes pas franchi la ligne en vainqueur tels jadis les grands champions du Tour de France, mais je suis toujours en course à Grenoble où je suis attendu par mes amis et ma famille. C’est bien là l’essentiel. L’arrivée est jugée sur le boulevard Clémenceau, tout près du vélodrome du Palais des Sports où mon père m’emmenait il n’y a pas si longtemps voir les Six Jours cyclistes. Je me dis qu’il n’y a plus que deux journées de course et je m’imagine déjà grimpant la côte de Domancy à Sallanches, en ce lieu même où Bernard Hinault construisit sa victoire dans le championnat du monde en 1980. Je n’ai guère le loisir de rester auprès des miens car nous devons être transférés d’une cité olympique à une autre, puisque c’est d’Albertville que sera donné le départ de la sixième étape. Juste le temps de retrouver Elodie qui me demande si j’ai récupéré de mes efforts dans le Ventoux. Plus que deux jours et le critérium sera terminé. Je risque de ne plus la revoir, c’est trop bête, je ne veux pas laisser passer ma chance. Alors au milieu de la cohue, je l’embrasse. Rendez-vous à Albertville. 

J’ai mal dormi. Pourtant dès les premiers kilomètres, je me suis senti pousser des ailes. C’est drôle comme l’amour peut vous changer la vie. En tous cas, cela me fait certainement plus d’effet que la dope parfois utilisée par certains coureurs. Je suis passé avec les meilleurs au sommet des cols de la Croix-Fry et de la Colombière. Je me prends à rêver. Offrir à Elodie ma première grande victoire chez les pros. Et si c’était enfin mon tour de franchir la ligne les bras levés vers le ciel. J’imagine déjà les titres dans le journal du dimanche avec à la une mon nom et ma photo. Je me vois sur le podium recevant le bouquet du vainqueur alors qu’à l’horizon se profile le redoutable col de Joux Plane classé hors catégorie. Les premières rampes me rappellent douloureusement à la réalité. La bataille va faire rage dans cette ultime difficulté avant l’arrivée à Morzine. Aux avant-postes, les équipiers des leaders mènent un train d’enfer afin de cadenasser la course. Je souffre et dois me mettre en danseuse pour garder le contact. Je dodeline, je transpire, j’ai mal aux jambes, mais je me surpasse pour rester dans le bon wagon. Au bord de la rupture, je commence à faire l’accordéon. Comme dans le Ventoux, la montée de Joux Plane se transforme en chemin de croix, mais je m’accroche, porté par les encouragements de mon directeur sportif et ceux des spectateurs de plus en plus nombreux au fur et à mesure que s’élève la route. Voilà la banderole du dernier kilomètre. J’ai bien limité les dégâts, et pour peu que les coureurs de tête se mettent à s’observer, je peux encore rattraper mon retard dans la descente que j’attaque à fond les manettes. Je rentre les épaules en position de recherche de vitesse tandis que des images défilent vertigineusement dans ma tête : ma première course, le visage d’Elodie, celui d’Emile, la côte de Domancy, le podium… Merde ! J’arrive trop vite dans ce virage, il faut que je freine à mort…trop tard, je bascule dans le vide…

Sur la ligne d’arrivée, un communiqué lapidaire du speaker a jeté une ombre sur la course : « Grégory Perrin, le jeune coureur de l’équipe La Charcutière a été victime d’une chute dans la descente du col de Joux Plane. Il a été transporté à l’hôpital dans un état grave. » Le froid cinglant de cette phrase a glacé le cœur d’Elodie. Elle se rend compte d’un seul coup combien elle tient à lui. L’angoisse l’étreint. Non loin d’elle, les roues continuent de tourner sur le macadam où se dispute la victoire d’étape. Il lui faut attendre encore avant de pouvoir aller aux nouvelles auprès du staff de l’équipe et des officiels après la cérémonie protocolaire. Des informations lui parviennent au compte-gouttes. Grégory aurait été transféré sans connaissance par hélicoptère au Centre hospitalier de Grenoble pour y subir une opération. Son état serait jugé très préoccupant selon les médecins. Pour Elodie et pour toute l’équipe de Grégory, le critérium va s’achever dans la tristesse et l’inquiétude…

J’ouvre les yeux. Je suis seul face au mur blanc de la chambre. Hier matin, le professeur Duroy est passé me voir. « Vous avez eu beaucoup de chance, m’a-t-il dit, vous avez échappé de justesse à une paraplégie, ce sera long, mais avec une rééducation adaptée

C’est mon premier critérium. J’en ai tellement rêvé et maintenant j’y suis. J’ai du mal à y croire. Il y a une semaine, je n’étais encore que simple remplaçant dans l’équipe cycliste « La Charcutière » et voilà que deux jours avant le départ du Dauphiné Libéré, l’un des mes équipiers contracte une mauvaise bronchite qui le contraint à renoncer à la course. Jacques Maurel, mon directeur sportif, est venu m’annoncer : « Grégory, j’espère que tu es en forme, toute l’équipe compte sur toi. J’ai décidé de t’inscrire sur la liste des engagés. » Alors que je savoure ce grand bonheur, je sais aussi que je dois saisir cette chance pour me montrer et faire un bon résultat afin de gagner ma place de titulaire.

 

L’épreuve débute par un contre la montre à Aix les Bains. La veille au soir, je suis allé méditer au bord du lac du Bourget comme le fit jadis le poète Lamartine. Pour moi aussi, le temps venait de suspendre son vol.

 

Je me revis enfant, courant jusqu’au bout de ma rue, puis collant le nez contre la vitrine du marchand de cycles pour y admirer les rutilantes machines de course. Le patron du magasin, comme la plupart des vélocistes, était un passionné. Désormais à la retraite, il portait un nom qui fleurait bon le métier : il s’appelait Emile Guidon. Le bougre n’avait pas son pareil pour inoculer le virus de la bicyclette à tous les gamins curieux qui s’aventuraient dans sa boutique. C’est ainsi que je devins membre de l’école de cyclisme dans le club local dont il avait la charge. La roue de mon destin venait de tourner dès l’instant où je mis mes pieds sur les pédales et mes fesses sur la selle d’un vélo de course. Assidu aux entraînements et toujours disposé à donner le meilleur de moi-même, je devins très vite le protégé du Mimile qui avait sans doute déjà détecté en moi des prédispositions naturelles pour la pratique de ce sport exigeant. A l’apprentissage initial succédèrent les premières courses et les premières émotions. Je franchis les catégories minimes, cadets, juniors, puis les différents échelons du cyclisme amateur, engrangeant des succès qui me permirent à 22 ans d’intégrer l’équipe « La Charcutière » et de signer mon premier contrat professionnel. Quand j’y songe maintenant, avec pour seul témoin silencieux le lac du Bourget, il me semble que c’était hier. Et demain, ce sera le départ de la plus importante course de ma carrière.

 

Le prologue ne s’est pas trop mal passé. Je termine à la 63ème place après avoir donné tout ce que j’avais dans le ventre. Avant même le premier coup de pédale, lorsque le speaker a annoncé : « Grégory Perrin au départ », mon palpitant devait déjà battre à 150 pulsations, mais après un kilomètre d’échauffement, l’adrénaline est retombée et tout est rentré dans l’ordre. J’attends la prochaine étape avec impatience.

 

Ça y est, cette fois c’est parti, je suis vraiment dans le grand bain, au cœur d’un peloton au sein duquel je côtoie les cadors de la discipline. C’est l’étape la plus longue avec ses 224 kilomètres. Elle nous emmène jusqu’à Givors, au confluent du Gier et du Rhône. Pas le temps de jouer les touristes ou de musarder. L’objectif de la journée est d’éviter de se faire lâcher et pour un néo-pro, ce n’est déjà pas une mince affaire car, en tête du peloton, les équipiers des sprinters n’amusent pas le terrain. La consigne du directeur sportif est de se glisser dans les échappées. La mienne, plus modeste, est de tenter de rallier l’arrivée en y laissant un minimum de forces afin de tenir toute la semaine.

 

Mission accomplie pour ce qui constituait mon objectif personnel. Après l’étape, s’est déroulé l’immuable rituel cycliste : douche, massage, repas et dodo, agrémentés pour certains coureurs du non moins traditionnel contrôle anti-dopage ; à peine le temps de croiser la souriante blondeur d’une ravissante hôtesse dans le village des coureurs. Le lendemain, une visite des monts du Haut-Beaujolais nous était proposée comme plat de résistance. Pour souffler un peu, ce n’était pas l’idéal, et mieux valait attendre le contre la montre de Roanne. L’arrivée à Chauffailles donna lieu à un nouveau sprint, et l’ensemble de l’équipe, qui ne s’était guère montrée durant cette journée, se fit remonter les bretelles par Maurel. Pour ma part, j’étais plutôt satisfait de mon début de critérium et je ne pus empêcher mon esprit de vagabonder. Mes coéquipiers, tête basse, subissaient religieusement les aboiements courroucés du coach, alors que la charmante apparition de la veille revint furtivement s’immiscer dans mes pensées.

 

Un contre la montre de 46 kilomètres, ce n’est jamais une promenade de santé, il faut rouler à fond du début à la fin. Pourtant, si j’ai conservé un souvenir précis de ce jour-là, ce n’est pas à cause du parcours ni de ma place dans les profondeurs du classement, mais c’est de l’avoir revue. N’ayant malheureusement pas encore eu les honneurs du podium et devant me plier aux habituelles obligations d’après course, je profitai de cette étape et de ma prestation du début d’après-midi pour m’octroyer un peu de temps libre en flânant parmi les spectateurs en attente des derniers arrivants. La belle se tenait près de l’estrade en compagnie d’autres hôtesses, mais bien évidemment je ne vis qu’elle. Je filai un coup de coude à Ludo, mon compagnon de chambrée qui venait de me rejoindre, en lui demandant s’il ne connaîtrait pas par hasard la jolie blonde en tailleur bleu. Il faut vous dire que Ludo est toujours au courant de tout ce qui se passe dans notre microcosme. Cette fois encore bingo ! « Bien sûr, me répondit-il, c’est Elodie, la sœur de Romain Delmonte, le coureur de l’équipe G2L ; c’est elle qui est chargée de remettre le maillot bleu du combiné et de la combativité lors de la cérémonie protocolaire. Je peux te dire que dans le peloton, il y en a quelques-uns qui aimeraient bien se la faire. » Je décide de rester un moment et d’attendre la fin de la remise des maillots. Je sais que je n’aurai guère le temps de m’attarder car ce soir il nous faudra rejoindre Tournon d’où sera donné le départ de l’étape du lendemain. Dès que l’occasion se présente, j’y vais la tête dans le guidon : « quand on voit une belle fille comme vous, remettre le maillot, ça donne envie d’être combatif » ou « pour une bise de vous à l’arrivée, je suis prêt à faire rougir mes pédales. »

 

Ça a marché. Hier soir, j’ai réussi à l’aborder. Elle a souri à mes plaisanteries même pas très fines et on a pu faire connaissance et bavarder un peu. Mais aujourd’hui, l’ambiance n’est plus à la rigolade. On va abandonner la riante vallée du Rhône et ses vignobles pour les rudes pentes du Mont-Ventoux. Le géant de Provence impressionne toujours autant, et ça balise sec sous les casques pour les néophytes comme moi qui vont l’aborder en course pour la première fois. Il va falloir se sortir les tripes pour réussir à atteindre le sommet à une place honorable. Le peloton va sans aucun doute arriver groupé au pied du mur et après ce sera chacun pour soi.

 

Dans les premières rampes je me sens bien, comme si j’étais resté sur mon nuage de la veille. Avec l’inconscience du débutant, j’y vais même de ma petite accélération comme si j’étais soudain devenu le roi de la montagne. Mais chez les grimpeurs, on commence à s’activer, le rythme est soutenu et les attaques se mettent à fuser de toutes parts. Le peloton s’étire, se casse, s’éparpille. Les coureurs s’arc-boutent sur leurs arachnéennes montures qui déroulent inexorablement leur fil tout au long de la pente. Dans le rouge depuis un moment, je perds pied tout à coup regardant s’éloigner la tête du peloton. Alors que nous sommes seulement à mi-montée, je suis à la ramasse avec l’arrière-garde, cherchant désespérément mon second souffle mais ne le trouvant pas. Serais-je victime de la fringale tant redoutée des coursiers ? J’ai l’impression d’être collé au goudron, mes jambes ne répondent plus et je pédale avec les oreilles. Combatif, je voudrais l’être, mais je n’ai plus rien dans les chaussettes. Le spectre de l’abandon me traverse douloureusement l’esprit. Je tente de boire, de m’alimenter, de mouliner, mais le mal est fait. Désormais, il ne me reste quasiment plus que la prière pour me permettre de sauver les meubles et d’éviter le naufrage. La tête dans le seau, je suis passé devant la stèle à la mémoire de Tom Simpson. Au sommet, il y a belle lurette que tout le monde a commencé à plier bagages, lorsque j’arrive enfin, exténué et hagard. L’espace d’un instant, je crois apercevoir Elodie qui me sourit, mais ce ne peut être qu’un rêve…

 

Vaison-la-Romaine à son tour accueille le critérium. Comme j’aimerais passer le pont sur l’Ouvèze et parcourir les petites rues de la cité médiévale, avec mon Amélie Poulain du vélo à mes côtés. Pourtant, une fois encore, le programme de la journée est tout autre avec la Drôme provençale, la Croix-Haute, le Trièves, la Matheysine et pour terminer la côte des Quatre Seigneurs avant de plonger sur Grenoble. Après ma défaillance d’hier, je n’en mène pas large et n’espère qu’une chose : rester dans le peloton malgré le parcours plutôt vallonné. Le soigneur de l’équipe a fait son possible pour me retaper et la nuit de sommeil n’a pas été de trop. Sur la ligne de départ, je me sens à peu près requinqué. Heureusement, le début de l’étape s’est effectué à un train raisonnable et la course ne s’est décantée que tardivement, ce qui m’a permis de rejoindre la capitale des Alpes un peu moins cuit que la veille. Je n’ai certes pas franchi la ligne en vainqueur tels jadis les grands champions du Tour de France, mais je suis toujours en course à Grenoble où je suis attendu par mes amis et ma famille. C’est bien là l’essentiel. L’arrivée est jugée sur le boulevard Clémenceau, tout près du vélodrome du Palais des Sports où mon père m’emmenait il n’y a pas si longtemps voir les Six Jours cyclistes. Je me dis qu’il n’y a plus que deux journées de course et je m’imagine déjà grimpant la côte de Domancy à Sallanches, en ce lieu même où Bernard Hinault construisit sa victoire dans le championnat du monde en 1980. Je n’ai guère le loisir de rester auprès des miens car nous devons être transférés d’une cité olympique à une autre, puisque c’est d’Albertville que sera donné le départ de la sixième étape. Juste le temps de retrouver Elodie qui me demande si j’ai récupéré de mes efforts dans le Ventoux. Plus que deux jours et le critérium sera terminé. Je risque de ne plus la revoir, c’est trop bête, je ne veux pas laisser passer ma chance. Alors au milieu de la cohue, je l’embrasse. Rendez-vous à Albertville.

 

J’ai mal dormi. Pourtant dès les premiers kilomètres, je me suis senti pousser des ailes. C’est drôle comme l’amour peut vous changer la vie. En tous cas, cela me fait certainement plus d’effet que la dope parfois utilisée par certains coureurs. Je suis passé avec les meilleurs au sommet des cols de la Croix-Fry et de la Colombière. Je me prends à rêver. Offrir à Elodie ma première grande victoire chez les pros. Et si c’était enfin mon tour de franchir la ligne les bras levés vers le ciel. J’imagine déjà les titres dans le journal du dimanche avec à la une mon nom et ma photo. Je me vois sur le podium recevant le bouquet du vainqueur alors qu’à l’horizon se profile le redoutable col de Joux Plane classé hors catégorie. Les premières rampes me rappellent douloureusement à la réalité. La bataille va faire rage dans cette ultime difficulté avant l’arrivée à Morzine. Aux avant-postes, les équipiers des leaders mènent un train d’enfer afin de cadenasser la course. Je souffre et dois me mettre en danseuse pour garder le contact. Je dodeline, je transpire, j’ai mal aux jambes, mais je me surpasse pour rester dans le bon wagon. Au bord de la rupture, je commence à faire l’accordéon. Comme dans le Ventoux, la montée de Joux Plane se transforme en chemin de croix, mais je m’accroche, porté par les encouragements de mon directeur sportif et ceux des spectateurs de plus en plus nombreux au fur et à mesure que s’élève la route. Voilà la banderole du dernier kilomètre. J’ai bien limité les dégâts, et pour peu que les coureurs de tête se mettent à s’observer, je peux encore rattraper mon retard dans la descente que j’attaque à fond les manettes. Je rentre les épaules en position de recherche de vitesse tandis que des images défilent vertigineusement dans ma tête : ma première course, le visage d’Elodie, celui d’Emile, la côte de Domancy, le podium… Merde ! J’arrive trop vite dans ce virage, il faut que je freine à mort…trop tard, je bascule dans le vide…

 

Sur la ligne d’arrivée, un communiqué lapidaire du speaker a jeté une ombre sur la course : « Grégory Perrin, le jeune coureur de l’équipe La Charcutière a été victime d’une chute dans la descente du col de Joux Plane. Il a été transporté à l’hôpital dans un état grave. » Le froid cinglant de cette phrase a glacé le cœur d’Elodie. Elle se rend compte d’un seul coup combien elle tient à lui. L’angoisse l’étreint. Non loin d’elle, les roues continuent de tourner sur le macadam où se dispute la victoire d’étape. Il lui faut attendre encore avant de pouvoir aller aux nouvelles auprès du staff de l’équipe et des officiels après la cérémonie protocolaire. Des informations lui parviennent au compte-gouttes. Grégory aurait été transféré sans connaissance par hélicoptère au Centre hospitalier de Grenoble pour y subir une opération. Son état serait jugé très préoccupant selon les médecins. Pour Elodie et pour toute l’équipe de Grégory, le critérium va s’achever dans la tristesse et l’inquiétude…

 

J’ouvre les yeux. Je suis seul face au mur blanc de la chambre. Hier matin, le professeur Duroy est passé me voir. « Vous avez eu beaucoup de chance, m’a-t-il dit, vous avez échappé de justesse à une paraplégie, ce sera long, mais avec une rééducation adaptée vous pourrez marcher à nouveau. » Ses paroles auraient dû me mettre du baume au cœur, mais une seule question brûlait mes lèvres sèches : « Dans combien de temps pourrai-je reprendre le vélo ? » La réponse du chirurgien me cloua encore plus sur mon lit : « Vous pourrez sans doute remonter sur une bicyclette, mais pour la compétition de haut niveau, c’est malheureusement terminé. »

C’est mon premier critérium. J’en ai tellement rêvé et maintenant j’y suis. J’ai du mal à y croire. Il y a une semaine, je n’étais encore que simple remplaçant dans l’équipe cycliste « La Charcutière » et voilà que deux jours avant le départ du Dauphiné Libéré, l’un des mes équipiers contracte une mauvaise bronchite qui le contraint à renoncer à la course. Jacques Maurel, mon directeur sportif, est venu m’annoncer : « Grégory, j’espère que tu es en forme, toute l’équipe compte sur toi. J’ai décidé de t’inscrire sur la liste des engagés. » Alors que je savoure ce grand bonheur, je sais aussi que je dois saisir cette chance pour me montrer et faire un bon résultat afin de gagner ma place de titulaire.

 

L’épreuve débute par un contre la montre à Aix les Bains. La veille au soir, je suis allé méditer au bord du lac du Bourget comme le fit jadis le poète Lamartine. Pour moi aussi, le temps venait de suspendre son vol.

 

Je me revis enfant, courant jusqu’au bout de ma rue, puis collant le nez contre la vitrine du marchand de cycles pour y admirer les rutilantes machines de course. Le patron du magasin, comme la plupart des vélocistes, était un passionné. Désormais à la retraite, il portait un nom qui fleurait bon le métier : il s’appelait Emile Guidon. Le bougre n’avait pas son pareil pour inoculer le virus de la bicyclette à tous les gamins curieux qui s’aventuraient dans sa boutique. C’est ainsi que je devins membre de l’école de cyclisme dans le club local dont il avait la charge. La roue de mon destin venait de tourner dès l’instant où je mis mes pieds sur les pédales et mes fesses sur la selle d’un vélo de course. Assidu aux entraînements et toujours disposé à donner le meilleur de moi-même, je devins très vite le protégé du Mimile qui avait sans doute déjà détecté en moi des prédispositions naturelles pour la pratique de ce sport exigeant. A l’apprentissage initial succédèrent les premières courses et les premières émotions. Je franchis les catégories minimes, cadets, juniors, puis les différents échelons du cyclisme amateur, engrangeant des succès qui me permirent à 22 ans d’intégrer l’équipe « La Charcutière » et de signer mon premier contrat professionnel. Quand j’y songe maintenant, avec pour seul témoin silencieux le lac du Bourget, il me semble que c’était hier. Et demain, ce sera le départ de la plus importante course de ma carrière.

 

Le prologue ne s’est pas trop mal passé. Je termine à la 63ème place après avoir donné tout ce que j’avais dans le ventre. Avant même le premier coup de pédale, lorsque le speaker a annoncé : « Grégory Perrin au départ », mon palpitant devait déjà battre à 150 pulsations, mais après un kilomètre d’échauffement, l’adrénaline est retombée et tout est rentré dans l’ordre. J’attends la prochaine étape avec impatience.

 

Ça y est, cette fois c’est parti, je suis vraiment dans le grand bain, au cœur d’un peloton au sein duquel je côtoie les cadors de la discipline. C’est l’étape la plus longue avec ses 224 kilomètres. Elle nous emmène jusqu’à Givors, au confluent du Gier et du Rhône. Pas le temps de jouer les touristes ou de musarder. L’objectif de la journée est d’éviter de se faire lâcher et pour un néo-pro, ce n’est déjà pas une mince affaire car, en tête du peloton, les équipiers des sprinters n’amusent pas le terrain. La consigne du directeur sportif est de se glisser dans les échappées. La mienne, plus modeste, est de tenter de rallier l’arrivée en y laissant un minimum de forces afin de tenir toute la semaine.

 

Mission accomplie pour ce qui constituait mon objectif personnel. Après l’étape, s’est déroulé l’immuable rituel cycliste : douche, massage, repas et dodo, agrémentés pour certains coureurs du non moins traditionnel contrôle anti-dopage ; à peine le temps de croiser la souriante blondeur d’une ravissante hôtesse dans le village des coureurs. Le lendemain, une visite des monts du Haut-Beaujolais nous était proposée comme plat de résistance. Pour souffler un peu, ce n’était pas l’idéal, et mieux valait attendre le contre la montre de Roanne. L’arrivée à Chauffailles donna lieu à un nouveau sprint, et l’ensemble de l’équipe, qui ne s’était guère montrée durant cette journée, se fit remonter les bretelles par Maurel. Pour ma part, j’étais plutôt satisfait de mon début de critérium et je ne pus empêcher mon esprit de vagabonder. Mes coéquipiers, tête basse, subissaient religieusement les aboiements courroucés du coach, alors que la charmante apparition de la veille revint furtivement s’immiscer dans mes pensées.

 

Un contre la montre de 46 kilomètres, ce n’est jamais une promenade de santé, il faut rouler à fond du début à la fin. Pourtant, si j’ai conservé un souvenir précis de ce jour-là, ce n’est pas à cause du parcours ni de ma place dans les profondeurs du classement, mais c’est de l’avoir revue. N’ayant malheureusement pas encore eu les honneurs du podium et devant me plier aux habituelles obligations d’après course, je profitai de cette étape et de ma prestation du début d’après-midi pour m’octroyer un peu de temps libre en flânant parmi les spectateurs en attente des derniers arrivants. La belle se tenait près de l’estrade en compagnie d’autres hôtesses, mais bien évidemment je ne vis qu’elle. Je filai un coup de coude à Ludo, mon compagnon de chambrée qui venait de me rejoindre, en lui demandant s’il ne connaîtrait pas par hasard la jolie blonde en tailleur bleu. Il faut vous dire que Ludo est toujours au courant de tout ce qui se passe dans notre microcosme. Cette fois encore bingo ! « Bien sûr, me répondit-il, c’est Elodie, la sœur de Romain Delmonte, le coureur de l’équipe G2L ; c’est elle qui est chargée de remettre le maillot bleu du combiné et de la combativité lors de la cérémonie protocolaire. Je peux te dire que dans le peloton, il y en a quelques-uns qui aimeraient bien se la faire. » Je décide de rester un moment et d’attendre la fin de la remise des maillots. Je sais que je n’aurai guère le temps de m’attarder car ce soir il nous faudra rejoindre Tournon d’où sera donné le départ de l’étape du lendemain. Dès que l’occasion se présente, j’y vais la tête dans le guidon : « quand on voit une belle fille comme vous, remettre le maillot, ça donne envie d’être combatif » ou « pour une bise de vous à l’arrivée, je suis prêt à faire rougir mes pédales. »

 

Ça a marché. Hier soir, j’ai réussi à l’aborder. Elle a souri à mes plaisanteries même pas très fines et on a pu faire connaissance et bavarder un peu. Mais aujourd’hui, l’ambiance n’est plus à la rigolade. On va abandonner la riante vallée du Rhône et ses vignobles pour les rudes pentes du Mont-Ventoux. Le géant de Provence impressionne toujours autant, et ça balise sec sous les casques pour les néophytes comme moi qui vont l’aborder en course pour la première fois. Il va falloir se sortir les tripes pour réussir à atteindre le sommet à une place honorable. Le peloton va sans aucun doute arriver groupé au pied du mur et après ce sera chacun pour soi.

 

Dans les premières rampes je me sens bien, comme si j’étais resté sur mon nuage de la veille. Avec l’inconscience du débutant, j’y vais même de ma petite accélération comme si j’étais soudain devenu le roi de la montagne. Mais chez les grimpeurs, on commence à s’activer, le rythme est soutenu et les attaques se mettent à fuser de toutes parts. Le peloton s’étire, se casse, s’éparpille. Les coureurs s’arc-boutent sur leurs arachnéennes montures qui déroulent inexorablement leur fil tout au long de la pente. Dans le rouge depuis un moment, je perds pied tout à coup regardant s’éloigner la tête du peloton. Alors que nous sommes seulement à mi-montée, je suis à la ramasse avec l’arrière-garde, cherchant désespérément mon second souffle mais ne le trouvant pas. Serais-je victime de la fringale tant redoutée des coursiers ? J’ai l’impression d’être collé au goudron, mes jambes ne répondent plus et je pédale avec les oreilles. Combatif, je voudrais l’être, mais je n’ai plus rien dans les chaussettes. Le spectre de l’abandon me traverse douloureusement l’esprit. Je tente de boire, de m’alimenter, de mouliner, mais le mal est fait. Désormais, il ne me reste quasiment plus que la prière pour me permettre de sauver les meubles et d’éviter le naufrage. La tête dans le seau, je suis passé devant la stèle à la mémoire de Tom Simpson. Au sommet, il y a belle lurette que tout le monde a commencé à plier bagages, lorsque j’arrive enfin, exténué et hagard. L’espace d’un instant, je crois apercevoir Elodie qui me sourit, mais ce ne peut être qu’un rêve…

 

Vaison-la-Romaine à son tour accueille le critérium. Comme j’aimerais passer le pont sur l’Ouvèze et parcourir les petites rues de la cité médiévale, avec mon Amélie Poulain du vélo à mes côtés. Pourtant, une fois encore, le programme de la journée est tout autre avec la Drôme provençale, la Croix-Haute, le Trièves, la Matheysine et pour terminer la côte des Quatre Seigneurs avant de plonger sur Grenoble. Après ma défaillance d’hier, je n’en mène pas large et n’espère qu’une chose : rester dans le peloton malgré le parcours plutôt vallonné. Le soigneur de l’équipe a fait son possible pour me retaper et la nuit de sommeil n’a pas été de trop. Sur la ligne de départ, je me sens à peu près requinqué. Heureusement, le début de l’étape s’est effectué à un train raisonnable et la course ne s’est décantée que tardivement, ce qui m’a permis de rejoindre la capitale des Alpes un peu moins cuit que la veille. Je n’ai certes pas franchi la ligne en vainqueur tels jadis les grands champions du Tour de France, mais je suis toujours en course à Grenoble où je suis attendu par mes amis et ma famille. C’est bien là l’essentiel. L’arrivée est jugée sur le boulevard Clémenceau, tout près du vélodrome du Palais des Sports où mon père m’emmenait il n’y a pas si longtemps voir les Six Jours cyclistes. Je me dis qu’il n’y a plus que deux journées de course et je m’imagine déjà grimpant la côte de Domancy à Sallanches, en ce lieu même où Bernard Hinault construisit sa victoire dans le championnat du monde en 1980. Je n’ai guère le loisir de rester auprès des miens car nous devons être transférés d’une cité olympique à une autre, puisque c’est d’Albertville que sera donné le départ de la sixième étape. Juste le temps de retrouver Elodie qui me demande si j’ai récupéré de mes efforts dans le Ventoux. Plus que deux jours et le critérium sera terminé. Je risque de ne plus la revoir, c’est trop bête, je ne veux pas laisser passer ma chance. Alors au milieu de la cohue, je l’embrasse. Rendez-vous à Albertville.

 

J’ai mal dormi. Pourtant dès les premiers kilomètres, je me suis senti pousser des ailes. C’est drôle comme l’amour peut vous changer la vie. En tous cas, cela me fait certainement plus d’effet que la dope parfois utilisée par certains coureurs. Je suis passé avec les meilleurs au sommet des cols de la Croix-Fry et de la Colombière. Je me prends à rêver. Offrir à Elodie ma première grande victoire chez les pros. Et si c’était enfin mon tour de franchir la ligne les bras levés vers le ciel. J’imagine déjà les titres dans le journal du dimanche avec à la une mon nom et ma photo. Je me vois sur le podium recevant le bouquet du vainqueur alors qu’à l’horizon se profile le redoutable col de Joux Plane classé hors catégorie. Les premières rampes me rappellent douloureusement à la réalité. La bataille va faire rage dans cette ultime difficulté avant l’arrivée à Morzine. Aux avant-postes, les équipiers des leaders mènent un train d’enfer afin de cadenasser la course. Je souffre et dois me mettre en danseuse pour garder le contact. Je dodeline, je transpire, j’ai mal aux jambes, mais je me surpasse pour rester dans le bon wagon. Au bord de la rupture, je commence à faire l’accordéon. Comme dans le Ventoux, la montée de Joux Plane se transforme en chemin de croix, mais je m’accroche, porté par les encouragements de mon directeur sportif et ceux des spectateurs de plus en plus nombreux au fur et à mesure que s’élève la route. Voilà la banderole du dernier kilomètre. J’ai bien limité les dégâts, et pour peu que les coureurs de tête se mettent à s’observer, je peux encore rattraper mon retard dans la descente que j’attaque à fond les manettes. Je rentre les épaules en position de recherche de vitesse tandis que des images défilent vertigineusement dans ma tête : ma première course, le visage d’Elodie, celui d’Emile, la côte de Domancy, le podium… Merde ! J’arrive trop vite dans ce virage, il faut que je freine à mort…trop tard, je bascule dans le vide…

 

Sur la ligne d’arrivée, un communiqué lapidaire du speaker a jeté une ombre sur la course : « Grégory Perrin, le jeune coureur de l’équipe La Charcutière a été victime d’une chute dans la descente du col de Joux Plane. Il a été transporté à l’hôpital dans un état grave. » Le froid cinglant de cette phrase a glacé le cœur d’Elodie. Elle se rend compte d’un seul coup combien elle tient à lui. L’angoisse l’étreint. Non loin d’elle, les roues continuent de tourner sur le macadam où se dispute la victoire d’étape. Il lui faut attendre encore avant de pouvoir aller aux nouvelles auprès du staff de l’équipe et des officiels après la cérémonie protocolaire. Des informations lui parviennent au compte-gouttes. Grégory aurait été transféré sans connaissance par hélicoptère au Centre hospitalier de Grenoble pour y subir une opération. Son état serait jugé très préoccupant selon les médecins. Pour Elodie et pour toute l’équipe de Grégory, le critérium va s’achever dans la tristesse et l’inquiétude…

 

J’ouvre les yeux. Je suis seul face au mur blanc de la chambre. Hier matin, le professeur Duroy est passé me voir. « Vous avez eu beaucoup de chance, m’a-t-il dit, vous avez échappé de justesse à une paraplégie, ce sera long, mais avec une rééducation adaptée vous pourrez marcher à nouveau. » Ses paroles auraient dû me mettre du baume au cœur, mais une seule question brûlait mes lèvres sèches : « Dans combien de temps pourrai-je reprendre le vélo ? » La réponse du chirurgien me cloua encore plus sur mon lit : « Vous pourrez sans doute remonter sur une bicyclette, mais pour la compétition de haut niveau, c’est malheureusement terminé. »

 

J’étais encore sous le choc, malgré la litanie consolatrice de mes parents et de mes potes. Puis Elodie est venue me rendre visite. Elle m’a dit « je t’aime » et ça m’a regonflé le moral à bloc. Désormais, je suis certain de pouvoir recourir et je vais travailler dur pour revenir dans le cyclisme professionnel. C’est grâce au vélo que je l’ai rencontrée. Je sais qu’elle est l’amour de ma vie.

 

J’étais encore sous le choc, malgré la litanie consolatrice de mes parents et de mes potes. Puis Elodie est venue me rendre visite. Elle m’a dit « je t’aime » et ça m’a regonflé le moral à bloc. Désormais, je suis certain de pouvoir recourir et je vais travailler dur pour revenir dans le cyclisme professionnel. C’est grâce au vélo que je l’ai rencontrée. Je sais qu’elle est l’amour de ma vie.

vous pourrez marcher à nouveau. » Ses paroles auraient dû me mettre du baume au cœur, mais une seule question brûlait mes lèvres sèches : « Dans combien de temps pourrai-je reprendre le vélo ? » La réponse du chirurgien me cloua encore plus sur mon lit :

C’est mon premier critérium. J’en ai tellement rêvé et maintenant j’y suis. J’ai du mal à y croire. Il y a une semaine, je n’étais encore que simple remplaçant dans l’équipe cycliste « La Charcutière » et voilà que deux jours avant le départ du Dauphiné Libéré, l’un des mes équipiers contracte une mauvaise bronchite qui le contraint à renoncer à la course. Jacques Maurel, mon directeur sportif, est venu m’annoncer : « Grégory, j’espère que tu es en forme, toute l’équipe compte sur toi. J’ai décidé de t’inscrire sur la liste des engagés. » Alors que je savoure ce grand bonheur, je sais aussi que je dois saisir cette chance pour me montrer et faire un bon résultat afin de gagner ma place de titulaire.

 

L’épreuve débute par un contre la montre à Aix les Bains. La veille au soir, je suis allé méditer au bord du lac du Bourget comme le fit jadis le poète Lamartine. Pour moi aussi, le temps venait de suspendre son vol.

 

Je me revis enfant, courant jusqu’au bout de ma rue, puis collant le nez contre la vitrine du marchand de cycles pour y admirer les rutilantes machines de course. Le patron du magasin, comme la plupart des vélocistes, était un passionné. Désormais à la retraite, il portait un nom qui fleurait bon le métier : il s’appelait Emile Guidon. Le bougre n’avait pas son pareil pour inoculer le virus de la bicyclette à tous les gamins curieux qui s’aventuraient dans sa boutique. C’est ainsi que je devins membre de l’école de cyclisme dans le club local dont il avait la charge. La roue de mon destin venait de tourner dès l’instant où je mis mes pieds sur les pédales et mes fesses sur la selle d’un vélo de course. Assidu aux entraînements et toujours disposé à donner le meilleur de moi-même, je devins très vite le protégé du Mimile qui avait sans doute déjà détecté en moi des prédispositions naturelles pour la pratique de ce sport exigeant. A l’apprentissage initial succédèrent les premières courses et les premières émotions. Je franchis les catégories minimes, cadets, juniors, puis les différents échelons du cyclisme amateur, engrangeant des succès qui me permirent à 22 ans d’intégrer l’équipe « La Charcutière » et de signer mon premier contrat professionnel. Quand j’y songe maintenant, avec pour seul témoin silencieux le lac du Bourget, il me semble que c’était hier. Et demain, ce sera le départ de la plus importante course de ma carrière.

 

Le prologue ne s’est pas trop mal passé. Je termine à la 63ème place après avoir donné tout ce que j’avais dans le ventre. Avant même le premier coup de pédale, lorsque le speaker a annoncé : « Grégory Perrin au départ », mon palpitant devait déjà battre à 150 pulsations, mais après un kilomètre d’échauffement, l’adrénaline est retombée et tout est rentré dans l’ordre. J’attends la prochaine étape avec impatience.

 

Ça y est, cette fois c’est parti, je suis vraiment dans le grand bain, au cœur d’un peloton au sein duquel je côtoie les cadors de la discipline. C’est l’étape la plus longue avec ses 224 kilomètres. Elle nous emmène jusqu’à Givors, au confluent du Gier et du Rhône. Pas le temps de jouer les touristes ou de musarder. L’objectif de la journée est d’éviter de se faire lâcher et pour un néo-pro, ce n’est déjà pas une mince affaire car, en tête du peloton, les équipiers des sprinters n’amusent pas le terrain. La consigne du directeur sportif est de se glisser dans les échappées. La mienne, plus modeste, est de tenter de rallier l’arrivée en y laissant un minimum de forces afin de tenir toute la semaine.

 

Mission accomplie pour ce qui constituait mon objectif personnel. Après l’étape, s’est déroulé l’immuable rituel cycliste : douche, massage, repas et dodo, agrémentés pour certains coureurs du non moins traditionnel contrôle anti-dopage ; à peine le temps de croiser la souriante blondeur d’une ravissante hôtesse dans le village des coureurs. Le lendemain, une visite des monts du Haut-Beaujolais nous était proposée comme plat de résistance. Pour souffler un peu, ce n’était pas l’idéal, et mieux valait attendre le contre la montre de Roanne. L’arrivée à Chauffailles donna lieu à un nouveau sprint, et l’ensemble de l’équipe, qui ne s’était guère montrée durant cette journée, se fit remonter les bretelles par Maurel. Pour ma part, j’étais plutôt satisfait de mon début de critérium et je ne pus empêcher mon esprit de vagabonder. Mes coéquipiers, tête basse, subissaient religieusement les aboiements courroucés du coach, alors que la charmante apparition de la veille revint furtivement s’immiscer dans mes pensées.

 

Un contre la montre de 46 kilomètres, ce n’est jamais une promenade de santé, il faut rouler à fond du début à la fin. Pourtant, si j’ai conservé un souvenir précis de ce jour-là, ce n’est pas à cause du parcours ni de ma place dans les profondeurs du classement, mais c’est de l’avoir revue. N’ayant malheureusement pas encore eu les honneurs du podium et devant me plier aux habituelles obligations d’après course, je profitai de cette étape et de ma prestation du début d’après-midi pour m’octroyer un peu de temps libre en flânant parmi les spectateurs en attente des derniers arrivants. La belle se tenait près de l’estrade en compagnie d’autres hôtesses, mais bien évidemment je ne vis qu’elle. Je filai un coup de coude à Ludo, mon compagnon de chambrée qui venait de me rejoindre, en lui demandant s’il ne connaîtrait pas par hasard la jolie blonde en tailleur bleu. Il faut vous dire que Ludo est toujours au courant de tout ce qui se passe dans notre microcosme. Cette fois encore bingo ! « Bien sûr, me répondit-il, c’est Elodie, la sœur de Romain Delmonte, le coureur de l’équipe G2L ; c’est elle qui est chargée de remettre le maillot bleu du combiné et de la combativité lors de la cérémonie protocolaire. Je peux te dire que dans le peloton, il y en a quelques-uns qui aimeraient bien se la faire. » Je décide de rester un moment et d’attendre la fin de la remise des maillots. Je sais que je n’aurai guère le temps de m’attarder car ce soir il nous faudra rejoindre Tournon d’où sera donné le départ de l’étape du lendemain. Dès que l’occasion se présente, j’y vais la tête dans le guidon : « quand on voit une belle fille comme vous, remettre le maillot, ça donne envie d’être combatif » ou « pour une bise de vous à l’arrivée, je suis prêt à faire rougir mes pédales. »

 

Ça a marché. Hier soir, j’ai réussi à l’aborder. Elle a souri à mes plaisanteries même pas très fines et on a pu faire connaissance et bavarder un peu. Mais aujourd’hui, l’ambiance n’est plus à la rigolade. On va abandonner la riante vallée du Rhône et ses vignobles pour les rudes pentes du Mont-Ventoux. Le géant de Provence impressionne toujours autant, et ça balise sec sous les casques pour les néophytes comme moi qui vont l’aborder en course pour la première fois. Il va falloir se sortir les tripes pour réussir à atteindre le sommet à une place honorable. Le peloton va sans aucun doute arriver groupé au pied du mur et après ce sera chacun pour soi.

 

Dans les premières rampes je me sens bien, comme si j’étais resté sur mon nuage de la veille. Avec l’inconscience du débutant, j’y vais même de ma petite accélération comme si j’étais soudain devenu le roi de la montagne. Mais chez les grimpeurs, on commence à s’activer, le rythme est soutenu et les attaques se mettent à fuser de toutes parts. Le peloton s’étire, se casse, s’éparpille. Les coureurs s’arc-boutent sur leurs arachnéennes montures qui déroulent inexorablement leur fil tout au long de la pente. Dans le rouge depuis un moment, je perds pied tout à coup regardant s’éloigner la tête du peloton. Alors que nous sommes seulement à mi-montée, je suis à la ramasse avec l’arrière-garde, cherchant désespérément mon second souffle mais ne le trouvant pas. Serais-je victime de la fringale tant redoutée des coursiers ? J’ai l’impression d’être collé au goudron, mes jambes ne répondent plus et je pédale avec les oreilles. Combatif, je voudrais l’être, mais je n’ai plus rien dans les chaussettes. Le spectre de l’abandon me traverse douloureusement l’esprit. Je tente de boire, de m’alimenter, de mouliner, mais le mal est fait. Désormais, il ne me reste quasiment plus que la prière pour me permettre de sauver les meubles et d’éviter le naufrage. La tête dans le seau, je suis passé devant la stèle à la mémoire de Tom Simpson. Au sommet, il y a belle lurette que tout le monde a commencé à plier bagages, lorsque j’arrive enfin, exténué et hagard. L’espace d’un instant, je crois apercevoir Elodie qui me sourit, mais ce ne peut être qu’un rêve…

 

Vaison-la-Romaine à son tour accueille le critérium. Comme j’aimerais passer le pont sur l’Ouvèze et parcourir les petites rues de la cité médiévale, avec mon Amélie Poulain du vélo à mes côtés. Pourtant, une fois encore, le programme de la journée est tout autre avec la Drôme provençale, la Croix-Haute, le Trièves, la Matheysine et pour terminer la côte des Quatre Seigneurs avant de plonger sur Grenoble. Après ma défaillance d’hier, je n’en mène pas large et n’espère qu’une chose : rester dans le peloton malgré le parcours plutôt vallonné. Le soigneur de l’équipe a fait son possible pour me retaper et la nuit de sommeil n’a pas été de trop. Sur la ligne de départ, je me sens à peu près requinqué. Heureusement, le début de l’étape s’est effectué à un train raisonnable et la course ne s’est décantée que tardivement, ce qui m’a permis de rejoindre la capitale des Alpes un peu moins cuit que la veille. Je n’ai certes pas franchi la ligne en vainqueur tels jadis les grands champions du Tour de France, mais je suis toujours en course à Grenoble où je suis attendu par mes amis et ma famille. C’est bien là l’essentiel. L’arrivée est jugée sur le boulevard Clémenceau, tout près du vélodrome du Palais des Sports où mon père m’emmenait il n’y a pas si longtemps voir les Six Jours cyclistes. Je me dis qu’il n’y a plus que deux journées de course et je m’imagine déjà grimpant la côte de Domancy à Sallanches, en ce lieu même où Bernard Hinault construisit sa victoire dans le championnat du monde en 1980. Je n’ai guère le loisir de rester auprès des miens car nous devons être transférés d’une cité olympique à une autre, puisque c’est d’Albertville que sera donné le départ de la sixième étape. Juste le temps de retrouver Elodie qui me demande si j’ai récupéré de mes efforts dans le Ventoux. Plus que deux jours et le critérium sera terminé. Je risque de ne plus la revoir, c’est trop bête, je ne veux pas laisser passer ma chance. Alors au milieu de la cohue, je l’embrasse. Rendez-vous à Albertville.

 

J’ai mal dormi. Pourtant dès les premiers kilomètres, je me suis senti pousser des ailes. C’est drôle comme l’amour peut vous changer la vie. En tous cas, cela me fait certainement plus d’effet que la dope parfois utilisée par certains coureurs. Je suis passé avec les meilleurs au sommet des cols de la Croix-Fry et de la Colombière. Je me prends à rêver. Offrir à Elodie ma première grande victoire chez les pros. Et si c’était enfin mon tour de franchir la ligne les bras levés vers le ciel. J’imagine déjà les titres dans le journal du dimanche avec à la une mon nom et ma photo. Je me vois sur le podium recevant le bouquet du vainqueur alors qu’à l’horizon se profile le redoutable col de Joux Plane classé hors catégorie. Les premières rampes me rappellent douloureusement à la réalité. La bataille va faire rage dans cette ultime difficulté avant l’arrivée à Morzine. Aux avant-postes, les équipiers des leaders mènent un train d’enfer afin de cadenasser la course. Je souffre et dois me mettre en danseuse pour garder le contact. Je dodeline, je transpire, j’ai mal aux jambes, mais je me surpasse pour rester dans le bon wagon. Au bord de la rupture, je commence à faire l’accordéon. Comme dans le Ventoux, la montée de Joux Plane se transforme en chemin de croix, mais je m’accroche, porté par les encouragements de mon directeur sportif et ceux des spectateurs de plus en plus nombreux au fur et à mesure que s’élève la route. Voilà la banderole du dernier kilomètre. J’ai bien limité les dégâts, et pour peu que les coureurs de tête se mettent à s’observer, je peux encore rattraper mon retard dans la descente que j’attaque à fond les manettes. Je rentre les épaules en position de recherche de vitesse tandis que des images défilent vertigineusement dans ma tête : ma première course, le visage d’Elodie, celui d’Emile, la côte de Domancy, le podium… Merde ! J’arrive trop vite dans ce virage, il faut que je freine à mort…trop tard, je bascule dans le vide…

 

Sur la ligne d’arrivée, un communiqué lapidaire du speaker a jeté une ombre sur la course : « Grégory Perrin, le jeune coureur de l’équipe La Charcutière a été victime d’une chute dans la descente du col de Joux Plane. Il a été transporté à l’hôpital dans un état grave. » Le froid cinglant de cette phrase a glacé le cœur d’Elodie. Elle se rend compte d’un seul coup combien elle tient à lui. L’angoisse l’étreint. Non loin d’elle, les roues continuent de tourner sur le macadam où se dispute la victoire d’étape. Il lui faut attendre encore avant de pouvoir aller aux nouvelles auprès du staff de l’équipe et des officiels après la cérémonie protocolaire. Des informations lui parviennent au compte-gouttes. Grégory aurait été transféré sans connaissance par hélicoptère au Centre hospitalier de Grenoble pour y subir une opération. Son état serait jugé très préoccupant selon les médecins. Pour Elodie et pour toute l’équipe de Grégory, le critérium va s’achever dans la tristesse et l’inquiétude…

 

J’ouvre les yeux. Je suis seul face au mur blanc de la chambre. Hier matin, le professeur Duroy est passé me voir. « Vous avez eu beaucoup de chance, m’a-t-il dit, vous avez échappé de justesse à une paraplégie, ce sera long, mais avec une rééducation adaptée vous pourrez marcher à nouveau. » Ses paroles auraient dû me mettre du baume au cœur, mais une seule question brûlait mes lèvres sèches : « Dans combien de temps pourrai-je reprendre le vélo ? » La réponse du chirurgien me cloua encore plus sur mon lit : « Vous pourrez sans doute remonter sur une bicyclette, mais pour la compétition de haut niveau, c’est malheureusement terminé. »

 

J’étais encore sous le choc, malgré la litanie consolatrice de mes parents et de mes potes. Puis Elodie est venue me rendre visite. Elle m’a dit « je t’aime » et ça m’a regonflé le moral à bloc. Désormais, je suis certain de pouvoir recourir et je vais travailler dur pour revenir dans le cyclisme professionnel. C’est grâce au vélo que je l’ai rencontrée. Je sais qu’elle est l’amour de ma vie.

« Vous pourrez sans doute remonter sur une bicyclette, mais pour la compétition de haut niveau, c’est malheureusement terminé. »

J’étais encore sous le choc, malgré la litanie consolatrice de mes parents et de mes potes. Puis Elodie est venue me rendre visite. Elle m’a dit « je t’aime » et ça m’a regonflé le moral à bloc. Désormais, je suis certain de pouvoir recourir et je vais travailler dur pour revenir dans le cyclisme professionnel. C’est grâce au vélo que je l’ai rencontrée. Je sais qu’elle est l’amour de ma vie.



 

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