Madame Parkinson

  

Elle n’est pas aussi sexy que Mrs Robinson, le personnage du film « le lauréat » chanté jadis par Simon et Garfunkel. C’est même tout le contraire. Méfiez-vous d’elle car elle arrive sans crier gare ! C’est une maîtresse envahissante qui ne vous laisse aucun répit. Elle survient sournoisement mais sans aucune brutalité. Au début vous ne vous en rendez pas compte malgré les premiers symptômes. Même si vous ne sentez plus les parfums des roses de votre jardin comme avant. Même si vous ne sentez pas non plus le délectable fumet qui se dégage d’un plat qui mijote dans la cuisine. On ne s’arrête pas à des détails aussi insignifiants et pourtant…

Je ne sais plus ni quand ni comment ça a tilté dans mon esprit. Ce fut une somme de petits signes avant-coureurs. Les efforts physiques deviennent un peu plus difficiles. La fatigue se manifeste un peu plus rapidement. Vous manquez de tonus et de vivacité. Vous commencez à avoir des doutes sur votre état de santé.

D’abord vous hésitez puis vous allez consulter Internet pour vous informer. Bien entendu il suffit d’entreprendre cette démarche pour se considérer atteint par un nombre incroyable de maladies et je ne vous parle pas des effets secondaires ou indésirables.

Vous commencez à penser qu’il va falloir consulter un neurologue car les différents symptômes dont vous souffrez pourraient bien être les fruits d’une maladie neurologique. Cependant vous attendez encore un peu car vous essayez de vous persuader que tout va bien.

Quelques mois plus tard votre main droite commence à trembler d’abord imperceptiblement puis le tremblement s’accentue et là vous vous dites que cette fois vous avez tous les signes de la maladie. Dès lors l’inquiétude vous ronge. Vous décidez de consulter un neurologue et lui montrez que vos doigts de la main droite présentent une légère tremblote. Mais le médecin vous rassure en affirmant qu’il ne s’agit pas de la maladie de Parkinson. Vous quittez le cabinet soulagé mais à moitié convaincu par son diagnostic.

Les mois qui passent confirment votre intuition et vous incitent à aller consulter à nouveau. Cette fois dans le service neurologie de l’hôpital le verdict tombe : c’est bien la maladie de Parkinson. Vous revenez de l’hôpital avec les jambes qui flageolent. Même si ce n’est pas vraiment une surprise vous avez pris un sacré coup de bambou sur la cafetière après cette annonce peu réjouissante et vous vous hâtez avec lenteur comme la tortue de la fable de La Fontaine sauf que là ce n’est pas de la rigolade.

Certes la neurologue vous a rassuré en affirmant que le stade actuel de la maladie permet d’envisager les années à venir avec un certain optimisme. Toutefois c’est le genre de nouvelle qui vous met le moral à zéro et il vous faut quelques jours pour la digérer. Dans les mois qui suivent vous devenez davantage à l’écoute de votre corps guettant le moindre signe d’aggravation de votre état. Une certaine lenteur dans les mouvements finit par s’installer et la maladie semble évoluer par palier.

L’écriture devient plus compliquée, les mots en pattes de mouche se recroquevillent et deviennent quasi illisibles. Heureusement il y a l’ordinateur pour remplacer les mains défaillantes. Tout le côté droit est désormais impacté par les tremblements, le bras ne peut plus atteindre les étagères en hauteur et la jambe elle aussi commence à avoir la tremblote. Ces tremblements sont épuisants et il faut envisager d’avoir recours aux médicaments.

Avec l’âge les raideurs se déplacent mais en plus elles augmentent avec la maladie surtout au niveau de la nuque et de l’épaule. Progressivement madame Parkinson vous vampirise, elle aspire toute la dopamine qui est en vous. La marche devient plus difficile, l’équilibre plus précaire. Il va falloir s’adapter. J’ai préféré anticiper en utilisant des bâtons pour mes déplacements afin d’éviter la chute.

Jusqu’où veut-elle aller cette salope ? Je la soupçonne de vouloir ma peau, mais je ne vais pas me laisser faire et je vais lui en faire baver. Grâce aux médicaments je n’ai pratiquement plus de tremblements et ceci constitue déjà une petite victoire sur la maladie même si l’issue finale de ce match ne fait pas de doute. En attendant il faut continuer à vivre avec ce maudit parasite et profiter au maximum de la vie.

Plus facile à dire qu’à faire me direz-vous car le combat est inégal. Entre madame Parkinson et moi c’est un corps à corps sans merci et c’est elle qui possède l’arme fatale car la maladie est incurable. Dans quelques années peut-être les scientifiques auront trouvé un remède pour lutter à armes égales avec elle. Mais pour moi il sera sans doute trop tard.

Impossible de l’avoir aux sentiments. N’attendez aucune compassion de sa part. Elle est pire que la faucheuse qui prendra le relais. Mes forces s’amenuisent mais mon cerveau fonctionne encore à plein régime et je suis prêt à en découdre.

C’est une perfide maîtresse qui ne relâche jamais son emprise et qui vous est fidèle jusqu’à votre dernier souffle. Et si parfois elle vous laisse espérer une amélioration c’est pour mieux vous en remettre une couche un peu plus tard. Si vous essayez de l’apprivoiser, la mégère restera sans réaction, mais soyez sûr qu’elle vous prépare un mauvais coup.

Parfois j’aimerais bien l’oublier mais ce n’est pas possible car elle ne cesse de se rappeler à mon bon souvenir par des douleurs insidieuses. Certains gestes du quotidien ne sont maintenant plus possibles. Je ne peux plus porter des charges trop lourdes, je ne peux plus courir, je ne peux plus faire du vélo même si j’en ai encore un peu sous la pédale et la station debout devient de plus en plus pénible.

Mais le pire dans la maladie c’est la dépendance. Devoir faire appel à la bonne volonté de mon entourage c’est une chose à laquelle je n’étais pas habitué. J’ai aussi une carte de priorité mais j’ai eu beaucoup de difficulté à m’en servir au début et les premières fois c’était avec un sentiment de honte de bénéficier d’un tel privilège. Mais on finit par s’en accommoder et se rendre à l’évidence : rien ne sera plus comme avant.

Madame Parkinson m’accompagne partout, elle me susurre à l’oreille de sortir ma carte d’handicapé sous le regard de ceux qui attendent leur tour dans la file d’attente. Aujourd’hui encore j’hésite à suivre ses pernicieux conseils et parfois je préfère m’abstenir de l’utiliser. C’est comme si je faisais un pied de nez à cette triste conseillère.

A cause d’elle j’ai du mal à m’occuper de mon jardin. Tondre la pelouse, tailler mes arbustes et mes rosiers, planter de nouvelles fleurs, ces tâches sont devenues plus aléatoires. Et cette enfoirée ne risque pas de me donner un coup de main. Ça doit même l’amuser de me voir en souffrance lorsque j’exécute tous ces travaux de jardinage pourtant peu pénibles auparavant.

Déjà que cette fainéante ne fout rien de la journée me laissant me taper tout le ménage en essayant de me mettre des bâtons dans les roues ! Pour le moment je ne m’en sors pas trop mal mais combien de temps cela va-t-il durer ?

Les semaines passent, les mois passent, mes forces musculaires continuent de diminuer, j’essaie de conserver un maximum d’autonomie mais c’est de plus en plus dur surtout les jambes qui ont plus de difficultés à me porter ce qui veut dire aussi moins d’équilibre en station debout. Garder le moral et ne pas céder au découragement, tel est désormais mon unique objectif.

Quand je croise des cyclistes je me remémore toutes mes randonnées en montagne à vélo. Tout cela est maintenant du passé. Que j’aimerais me faire plaisir à nouveau sur une bicyclette, grimper des cols comme jadis, un temps pas si lointain et pourtant du domaine des souvenirs. Plus de bicyclette, plus de natation, plus de jogging, plus de jeu de ballon avec les petits enfants mais aussi plus de voyages, plus de trajets automobiles et ceci est une liste non exhaustive. Pour moi c’est une sorte de confinement forcé et je suis seul face à la maladie.

Malgré les séances hebdomadaires de kinésithérapie, mon état physique ne s’arrange pas vraiment et malheureusement ça ne pourra que se détériorer dans l’avenir. Cela fait quelques années que je subis l’influence néfaste de cette fichue maîtresse qui ne me lâche plus d’une semelle. Toujours sur mon dos pour ralentir mes mouvements ou réveiller de vieilles douleurs elle ne m’enlèvera cependant pas mon envie de vivre et avant de ne plus pouvoir le faire je vais trinquer avec elle à ma santé.

A la vôtre madame Parkinson !

 


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