Braquage chez le primeur
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La
scène se passe à Cavaillon, le pays du melon dans la boutique d’Olive le
marchand des 4 saisons. Alors
qu’il s’apprête à servir ses deux derniers clients : une grande asperge un
peu blette aux yeux noisette en amande et un petit rond rubicond qui faisait le
poireau, une espèce de malotru excité surgit de nulle part. Vêtu d’un tee-shirt
marron et d’une veste kaki, une banane poil de carotte sur la tête et un cheveu
sur la langue, celui-ci brandit un flingue en criant : « Pas un zeste
ou je te fais sauter le citron ! -
T’es
givré ou quoi ? lui rétorque Olive qui ne mâche pas ses mots et
n’aime pas qu’on lui brise les cacahuètes « il n’y a rien à piquer ici. -
Ne
discute pas, j’ai eu pas mal de pépins et j’ai plus un radis, il faut que je me
refasse la cerise, alors file moi l’oseille et vite ! -
Laisse
tomber petit, chez moi il n’y a pas grand-chose à faucher, d’ailleurs ça fait
des années que je bosse pour des nèfles répond le primeur désabusé. -
Toi
tu ne vas pas me casser les noix, t’as vraiment rien dans le cerneau. Arrête
avec tes salades parce que tu commences à me courir sur le haricot. Allez
aboule le fric ! -
Il
a raison, jeune homme, ajoute la cliente, vous allez faire chou blanc et en
plus avec la guigne que vous avez vous risquez de vous retrouver en prison. -
Toi
la frisée tu ferais mieux de t’occuper de tes lardons si tu ne veux pas manger
les pissenlits par la racine ! -
Soyez
correct avec madame ! intervient le petit gros rouge comme une tomate bien
mûre. - Voilà
l’autre qui ramène sa fraise maintenant. J’ai bien envie de te coller un
pruneau dans le buffet. Occupe-toi de tes oignons ! Crie-t-il en lui
balançant une châtaigne en pleine poire. -
Putain
d’endive ! hurle le voyou qui vient de se tirer une balle dans le
pied et s’écroule dans les fenouils et les cardons. Pour
couronner le tout voilà que la grande asperge tombe dans les pommes à son tour
entraînant dans sa chute l’étal du commerçant qui, voulant la rattraper,
s’affale lui aussi lamentablement au beau milieu des navets et des
topinambours. -
Quelle
courge ! a-t-il le temps de penser juste avant de se retrouver le nez dans
le persil. C’est vraiment trop bête, tout ce gâchis à cause de cette espèce de
cornichon qui a un pois chiche dans la tronche. -
Prends
l’oseille et tire-toi lui lance Olive qui en avait gros sur la patate. -
Si
j’avais su j’aurais pas venu marmonne l’autre abruti, le pied en compote et la
banane de travers en claudiquant tant bien que mal jusqu’à la porte. -
J’ai
la tête comme une citrouille dit le petit rond, le pif transformé en un énorme
tubercule et en aussi mauvais état que les kiwis et les mirabelles broyés sous
son postérieur. « Vous aussi vous êtes blessée ? » demande-t-il en se
tournant vers sa voisine dégoulinante. -
Non
ce n’est que du jus de framboise répond-elle en contemplant ce spectacle encore
plus croquignol que l’hécatombe au marché de Brive la Gaillarde chantée par
Brassens qui ne manquait pourtant déjà pas de piment. Je
vous laisse imaginer le carnage : ce ne sont que pastèques éclatées,
cassis épépinés, figues aplaties, grenades explosées, pamplemousses ratatinés,
litchis dénoyautés, groseilles en charpie, dattes périmées, mangues éventrées,
grains de raisins éparpillés… Et
côté légumes ce n’est guère mieux : courgettes écrabouillées, concombres
bousillés, artichauts effeuillés, épinards hachés menus, fèves écrasées,
salsifis coupés en deux, céleris remoulus, brocolis décapités, champignons
ratiboisés, betteraves atomisées, poivrons déchiquetés, échalotes effilochées… Adieu
papayes, pêches, nectarines, brugnons ! Le marchand hébété regarde d’un
œil marri tous ses fruits ainsi répandus et telle la laitière de La Fontaine il
en reste assis sur le cul. Cependant
dans la rue une aubergine en train de distribuer quelques prunes sur les
pare-brises ayant entendu le coup de revolver arrive flanquée de deux flics
plutôt balèzes qui cueillent sur le pas de la porte un Poil de carotte en
piteux état sur le point de prendre la tangente. -
Je
vous avais prévenu mon garçon, maintenant il va falloir vous trouver un bon
avocat ! assène la grande asperge, plus très fraîche, au petit malfrat
désormais hors d’état de nuire. Et
le marchand des 4 saisons déconfit de conclure en s’adressant au
responsable de ce désastre embarqué par les pandores dans leur panier à salade :
« Et compte sur moi pour t’apporter des oranges ! »
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