Les miches de la boulangère
 

 Le métier de boulanger n’est pas de tout repos. Il est levé à point d’heure, les mains dans le pétrin pour gagner sa croûte, et la journée est souvent longue comme un jour sans pain. Pas facile lorsque l’on est un jeune boulanger, pensait Marius en préparant ses viennoiseries.

Il avait fait ses classes comme simple mitron chez un petit vieux de Pithiviers. Dès qu’il lui avait serré la pogne il avait su que celui-ci allait le mener à la baguette et cela pour une bouchée de pain ! Mais dans cette boulangerie- pâtisserie de la rue Saint-Honoré, au fur et à levure, il avait appris le métier dont il connaissait désormais toutes les ficelles. Et puis un matin le vieux qui était en train de confectionner des allumettes avait soudainement cassé sa pipe et après avoir mangé son pain noir, Marius avait pris la relève commerciale en devenant le patron.

Pourtant avec un père d’origine tropézienne et une mère génoise rien ne le retenait dans le Loiret si ce n’était sa rencontre avec Charlotte, une blonde incendiaire de la Forêt Noire qui l’avait laissé baba jusqu’au jour où, la gueule enfarinée, il avait demandé sa main.

Depuis, c’était elle qui officiait au magasin pour le plus grand bonheur de la clientèle. Il faut dire qu’elle était aguichante et qu’elle savait y faire lorsqu’elle proposait un paris-brest à un cycliste, un opéra au musicien, des cigarettes au fumeur, un millefeuille à l’archiviste, une aumônière au sacristain, des pets de nonne à la religieuse, un oranais au maghrébin, des oreillettes au journaliste, un trianon au châtelain, un pain aux raisins au vigneron, un moka au cafetier ou un quatre-quarts à une demi-portion.

De temps à autre, sa jeune sœur Amandine venait prendre sa petite part du gâteau en donnant un coup de main, pendant que Marius, qui avait pris un peu de brioche, s’affairait en chaussons dans l’arrière-boutique, trop occupé par son travail. Aux spécialités régionales, il avait ajouté celles de son Midi natal : fougasses, panettone, navettes, fiadone, canistrelli, rousquilles, palmiers et canelés côtoyaient des produits nordiques et d’outre-manche tels le kouign-amann, les galettes bretonnes, le kouglof, le strudel, le pudding, les brownies et autres cookies. Il s’était mis à faire aussi de la confiserie et avait maintenant tellement de pain sur la planche que, ne pouvant être au four et au moulin, il avait fini par négliger sa mie.

Et pourtant elle était belle, les clients ne voyaient qu’elle, surtout Rocco, un jeune cul-cul la praline à lunettes avec des épis sur la tête qui le faisaient ressembler à un hérisson. Tous les matins il achetait son petit pain au chocolat en se disant qu’il tremperait bien son biscuit dans le puits d’amour de la boulangère. Il faut dire que Charlotte semblait aussi croustillante que ses croissants, aussi moelleuse que ses chouquettes et que tout en elle était parfait.

Ce matin-là, donc, le hérisson lubrique, les yeux grands comme des macarons rivés sur le décolleté plongeant de l’alléchante pâtissière, se décida à passer à l’action. Vif comme l’éclair il sauta par-dessus le comptoir et saisissant la belle par surprise, il la retourna comme une crêpe prêt à lui jouer de sa flûte. Mais Charlotte ne voulait pas qu’il goûte à son berlingot. Elle se rebiffa et lui colla une tarte, bien décidée à ne pas se faire rouler dans la farine par ce fieffé coquin. Cependant le hérisson en rut, pressé d’arriver à ses fins, la bouscula. Elle se retrouva dans les choux au milieu des petits fours écrasés, pleurant comme une madeleine et criant : « Saint-Genix sauvez-moi ! »

Pendant ce temps-là, bonne pâte, notre boulanger caressait sa chatte qui aimait jouir de l’agréable tiédeur du fournil. « Tiens, la voilà qui revient la Pomponnette ! » lui dit-il tandis qu’elle lui léchait la main de sa langue de chat. C’est alors qu’il entendit les cris de sa femme. Il se précipita juste à temps pour voir le hérisson érigé, pantalon baissé, s’apprêtant à le cocufier dans sa propre boutique. Son sang ne fit qu’un tour et rouge comme un framboisier il lui balança la première tartelette venue en pleine figure.

« Je vais te faire passer le goût du pain, espèce de bâtard ! »

Empêtré dans son pantalon descendu sur les chevilles, le jeune coq s’emmêla les nougats et se ramassa une gaufre, démontant une pièce montée et brisant quelques meringues, croquants et massepains. « Quelle tuile ! » pensa-t-il en restant comme deux ronds de flan.

A peine remis de cette bugne, il aperçut le boulanger fondant sur lui. Craignant qu’il ne lui mette un pain, l’infâme fornicateur eut tout juste le temps de lui envoyer un vacherin qui atteignit sa cible stoppant net Marius qui était à deux doigts de lui claquer le beignet. Pour lui ce n’était plus le moment de faire le cake d’autant que la belle Charlotte, un rouleau à pâtisserie à la main accourait afin de secourir son mari. Voyant que ça tournait au vinaigre, maculé de crème et de chocolat, Rocco s’enfuit la queue entre les jambes sans demander son reste.

Et depuis ce jour funeste il paraît qu’il n’a plus acheté un seul petit pain au chocolat.